Le détective Syrien

Par Rédaction

Dans les années 1900, il y a une forte immigration syrienne et libanaise à Montréal, immigrante au Québec parce que chrétienne et persécutée au Moyen-Orient, elle s’installe sur la rue Notre-Dame dans les environs du marché Bonsecours, ils sont quelques milliers, la plupart marchands en tout genre, installés devant leurs étals aux saveurs des mille et une nuit.

L’un d’entre eux, Georges Farah dit Lajoie, originaire de Damas en Syrie, a ajouté à son nom arabe Farah, le nom québécois, Lajoie, qui est la traduction française de Farah.

Il est arrivé à Montréal à l’âge de 23 ans. Contrairement à la plupart de ses compatriotes immigrants qui se marient au sein de la communauté arabe, Georges Farah dit Lajoie a marié une Québécoise, Marie-Anne Chartré, un connaisseur…

Le 25 novembre 1905, père de trois enfants, petit commis au marché Bonsecours, il fait une demande d’admission pour se joindre au corps policier de Montréal, il a 29 ans. On le refuse, jugeant qu’il est trop frêle; il pèse 150 livres et mesure 5’9 et ¾.

Mais l’équivalent poids grandeur retrouvé dans les documents du service policier montréalais, spécifie bien que son poids est proportionnel à sa taille, la raison invoquée masque tout autre chose…

Georges Farah Lajoie est arabe, catholique bien sûr, mais pas un catholique comme ceux d’ici…

D’ailleurs il a, avant son arrivée à Montréal, fréquenté le Collège de Jérusalem pour devenir Père Blanc, il a toutefois abandonné ses études et il est ostracisé par sa communauté.

Quoiqu’il en soit, l’ami Lajoie est un opiniâtre, et jugeant qu’il est l’objet d’une injustice, il écrit au maire Hormidas Laporte: «À son honneur le Maire de Montréal. Poussé par la courtoisie et la bienveillance amicales avec lesquelles vous accueillez d’ordinaire vos sujets, je m’empresse et je me fais une gloire de vous adresser la Présente dans le but de demander vos égards dans une petite entreprise que j’ai déjà commencée. J’ai l’honneur de me présenter à vous comme Syrien d’origine et sujet Britannique naturalisé. Je fis mon application il y a quelque temps pour rentrer dans le Corps de la Police à Montréal où je réside. J’ai été demandé quelques jours après pour passer mes examens à ma grande joie. Mais me voilà désappointé après avoir rempli les conditions voulues, de voir que mon poids faisait défaut; j’ai manqué de dix livres. Je m’en suis pris alors à la nature, que je devais combattre seul,sans aucun secours. Je ne perdis point espoir; j’ai pensé trouver dans votre honneur une entière victoire. De plus notre colonie augmente toujours à Montréal, évidemment les rapports de la Police devraient augmenter en conséquence avec cette première. Et il me semble que le choix d’un Policeman dans celle-ci, serait un avantage pour les deux partis, telle aussi a été la remarque du chef de police et de certains Échevins. J’espère que vous me seconderiez dans mon entreprise et daignez agréer l’expression sincère de ma haute considération et de mon obligeance la plus profonde. Georges Farah dit Lajoie. Marché Bon Secours office city.»

Le 10 mai 1906, Georges Farah Lajoie subit un nouvel examen médical et il est admis au sein du corps policier montréalais, il ne pèse toujours que 150 livres…

Il devient le premier policier syrien dans la force constabulaire montréalaise. Quelques années plus tard, il sera l’un des meilleurs détectives, toutes époques confondues, un précurseur dans maints domaines, qui réussira à s’imposer, malgré les multiples embûches du racisme latent, des jalousies et de la corruption présente dans une partie du corps policier montréalais. L’individu est perspicace, intuitif, brillant, il parle sept langues et il a du génie policier. L’Histoire a retenu son nom en raison de son enquête sur le meurtre du jeune Raoul Delorme, tuer de six balles à la tête et la mise en accusation de son frère, l’abbé Adélard Delorme, un prêtre catholique. L’abbé Delorme sera déclaré fou dans un premier procès, coupable dans un deuxième, non coupable dans un troisième et à nouveau libre dans un quatrième, sa sépulture est au cimetière de la Côte-des-Neiges et l‘ami Lajoie est son voisin immédiat…

Georges Farah Lajoie eut un prix a payer pour avoir ainsi «osé» arrêter un prêtre catholique: il ne put jamais faire instruire ses enfants dans une institution catholique et lorsqu’il voulu faire éditer le livre qu’il avait écrit: «Ma vérité sur l’affaire Delorme» aucun éditeur au Québec ne l’accepta, ce fut un éditeur ontarien qui le publia. Nous lui devons la première cause scientifique présentée en Cour criminelle, de concert avec le médecin légiste Wilfrid Delorme, ainsi que la première cause d’une enquête corrompue par un policier vénal, qu’il reprit de main de maître pour dévoiler que le témoin d’un meurtre était en réalité le meurtrier, et que l’accusé était innocent, ce fut l’affaire du meurtre du marchand de fourrures Georges Jobin. Mais Georges Farah Lajoie commis un impair de taille, il se confia à un journaliste… sur ses intentions de réforme de la police montréalaise, on le congédia, le réinstalla, puis le mis à sa retraite… Je me demande ce qu’il aurait pensé du petit village calabrais du maire Gérald Tremblay ou des contrats de voirie écrits à l’encre invisible du ministre incorruptible, David Whissell… Pour en savoir plus: «My version of the Delorme Affair.» Toronto Central News, 1922 et de Jacques Côté: «Wilfrid Derome, expert en homicides», Boréal, 2003.

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