Mal d’aïeux

Par Journal Accès

Chronique d’un X

« Le pays compte désormais plus d’aînés que d’enfants », titraient les grands quotidiens d’un ton inquiet, suite au dernier recensement. Ça veut dire que la proportion des personnes dites aînées (65+) a dépassé celle des enfants (0-14+), avec tous les enjeux socioéconomiques que ça sous-tend.
Dans une société qui s’exprime trop souvent des deux côtés de la bouche, je suis un peu fatigué de toujours parler des aînés comme d’une classe à part, comme d’un malaise non assumé. Quand Boucar Diouf parle de son « grand-père qui disait toujours », ça nous fait sourire, ça nous fait chaud en dedans – idem pour la populaire chanson Dégénérations, avec ce fameux « mon arrière-arrière-grand-père ». Nous retournons ensuite dans nos maisons, contents du spectacle, pendant que, dans nos centres d’hébergement, la majorité des résidents ne reçoivent jamais de visite de leurs proches.
Nous sommes un peuple nostalgique et empathique, pour qui l’histoire est jeune et fragile. Le mot valeur prend cependant beaucoup plus de place dans le vocabulaire que sur le terrain – grands parleurs petits faiseurs, diront certains. Pourtant, les Africains l’ont compris, les Japonais et les autochtones aussi. Dans ces cultures, la place de l’aîné est au sommet de la chaîne de la transmission des savoirs, c’est une roue qui tourne perpétuellement, les sages enseignent la vie aux jeunes pousses, et vice versa.
Dans une société où aîné rime trop souvent avec couche souillée et CHSLD, plutôt qu’avec dignité, ne serait-il pas le temps de se questionner? Une loi adoptée en 2007 assure que les détenus bénéficient d’au moins deux bains ou douches par semaine. La semaine dernière, je me suis fait demander 25 $ supplémentaires pour laver une 2e fois la décence de ma mère. « Ça ne changera pas », a dit candidement le ministre. Difficile de ne pas tomber dans le cynisme avec de tels travers.
À force de nous marteler les mots population vulnérable, nous avons tous fini par y croire, croire que les aînés sont dans une classe à part, une qui souffre et attend patiemment la mort, assise quelque part dans un couloir. « Et les humains sont de ma race.. », chante toujours haut et fort le grand Vigneault. Je ne sais pas pour vous, mais quand je regarde et j’entends cet homme, je ne vois pas un bénéficiaire fatigué de 88 ans. Je vois un être droit comme un chêne, une âme sans âge, un ambassadeur de créativité, un passionné du savoir-être, un connecteur intergénérationnel – je vois un semblable inspirant, qui casse l’image du vieillard souffrant.
Parlant de ce qui va bien, beaucoup d’initiatives sont mises en œuvre pour créer des liens. Coup de chapeau au projet intergénérationnel du Centre des aînés de Saint-Léonard qui, chaque semaine, accueille des élèves de 4e année de l’école Saint-Fabien. Ces étudiants se transforment en professeurs et enseignent l’informatique aux aînés, une fois par semaine, au grand plaisir de tous. Bien sûr, il est question de courriels, de Google et de cette fameuse tablette électronique. Mais pour moi, l’informatique n’est qu’un prétexte à l’essentiel rapprochement social et générationnel qu’une telle activité engendre.
Plus près de chez nous, distribuons un coup de « chœur » collectif à une chorale composée de jeunes d’ici, âgés de 5 à 17 ans. Le Chœur des Jeunes de Saint-Sauveur qui, en plus de collaborer régulièrement aux spectacles de la talentueuse Laurentienne Giorgia Fumanti, apporte sourires et bonheur à de nombreux aînés de notre région. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que ces jeunes et leur directrice, Myriam, sont présents dans les grandes occasions comme les petites. Ils chantent autant pour des bénévoles que pour des aînés en résidence, et la troupe multiplie les occasions pour distribuer de la chaleur humaine – ingrédient essentiel à notre survie.
Des exemples comme ceux ci-dessus doivent se multiplier : ils sont porteurs de sentiments de compétence, d’utilité, de fierté et d’amour propre. À quand la Grande tournée des aînés?! Je les vois débarquer de leur autobus de campagne pour visiter les écoles et autres lieux de sociétés, tel un groupe rock, partageant expérience et joie de vivre!
Nos aïeux… ce ne sont pas seulement ceux qui ont été, ou ceux qui seront, mais c’est aussi ceux qui sont. Entre le réconfort du passé et la promesse du futur, il y a le présent, et c’est tout ce que nous avons. Même si chacun voyage avec son propre bateau, et passe par différents cours d’eau, nous nous retrouverons tous un jour ou l’autre sur le même quai, il ne faudrait jamais l’oublier.
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