AGRICULTURE

Par nathalie-deraspe

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Le nombre de fermes québécoises a chuté de 10% en une décennie. La région ne fait pas exception à la règle, même si le déclin enregistré ici se fait un peu moins rapidement qu’ailleurs en province. À Deux-Montagnes et dans le secteur de Mirabel, on voit même certains producteurs maraîchers s’aventurer dans des productions à petite échelle. D’autres favorisent la culture des petits fruits. La demande est également très forte en horticulture, où le secteur poursuit son expansion.

Le développement de l’agrotourisme dans les Basses-Laurentides a beau susciter beaucoup d’engouement et stimuler le milieu agricole, dans les faits, il n’y a pas une

fortune à faire et les retombées économiques demeurent peu significatives. Si quelques rares producteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu, la majorité multiplie les heures pour un salaire de misère. Encore

aujourd’hui, plus de 80% des agriculteurs des Laurentides doivent travailler à l’extérieur de la ferme pour augmenter leurs sources de revenus. Les producteurs de volailles et de lait sont ceux qui réussissent le mieux, outre l’industrie de transformation. Il n’empêche. les Hautes-Laurentides ont perdu près de 50% de leurs producteurs laitiers. Aujourd’hui, la région compte à peine 200 agriculteurs, toutes productions confondues.
«La situation économique n’est pas facile, convient Pierre-Olivier Quesnel, conseiller en aménagement et développement rural au MAPAQ. L’accès au marché de masse est de plus en plus difficile et les prix sont de moins en moins intéressants. La solution pour les producteurs est de développer des produits sur place. Ça permet d’offrir une plus-value.» Cela dit, il n’existe aucun secteur économique où le niveau de vie d’un exploitant frôle les 14 000$ à 20 000$ par an alors que la valeur marchande de ses installations atteint 1,5 million de dollars, parfois plus.

Fermes à vendre
«Les Québécois sont contre le fait que les fermiers vendent leur terre à des Chinois, mais personne n’est prêt à faire l’effort d’aller au marché, dénonce Céline Bélec, productrice et ancienne présidente de l’UPA de Mont-Laurier. Quand un restaurateur me dit qu’il n’est pas capable de payer 10 cents de plus pour de la viande sans hormone de croissance et sans antibiotique sur une assiette qu’il vend 45$, ça m’enrage. Si le premier ministre s’acharnait à manger québécois et s’assurait que toutes les institutions, organismes gouvernementaux et écoles fournissent des produits locaux, on n’en serait pas là.»

Ce petit bout de femme de cinq pieds deux pouces en a gros sur le cœur. Elle et son mari ont déboursé 2000$ pour des champs certifiés «bios». On exigeait 10% de leurs ventes totales pour faire de même avec leur troupeau, mais le couple résiste à l’idée d’engouffrer le fruit de leurs profits dans une simple appellation. Les Raymond-Bélec font tout de même partie du 1% de producteurs québécois qui se battent pour produire une viande dite «non-conventionnelle». Malgré ce qu’on en dit, les hormones de croissance sont encore tolérées et injectées parfois jusqu’à seulement trois jours avant l’abattage. «Un avocat de la Fédération des producteurs de bovins du Québec m’a menacée parce que j’avais affiché une étude qui mentionnait les effets néfastes des hormones de croissance dans mon kiosque du marché Jean-Talon», confie Céline Bélec. Encore aujourd’hui, affirme-t-elle, les bovillons reçoivent des vaccins vivants. Aux États-Unis, certains d’entre eux sont toujours injectés même s’ils sont interdits au Canada, ce qui n’empêche pas la viande d’être vendue de ce côté-ci de la frontière. Pour sa part, la ferme Nordest a été la première parmi les petits producteurs au Québec à établir un contrôle de qualité équivalent aux normes ISO.

Mais les temps sont durs. «Les gros producteurs continuent de grossir et les petits abandonnent», lance l’agricultrice. Un producteur de porc voisin a décidé de déclarer forfait et cherche à contacter des Chinois pour vendre. Seuls 50% des 100 000 hectares situés en zone agricole sont en exploitation dans les Laurentides. Le secteur agroalimentaire représente malgré tout 10% de notre économie régionale.

Des producteurs artisanaux en colère

Le 1er avril dernier, l’avocat et ancien président de l’Association des vignerons du Québec, Jean-Pierre Bélisle, également propriétaire de La Roche des Brises à Saint-Joseph-du-Lac, a déposé une requête interlocutoire, en collaboration avec 44 producteurs artisanaux de boissons alcoolisées, afin de dénoncer l’attitude de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec (RACJQ) vis-à-vis des détenteurs de permis de production artisanale de vins, de cidre, d’hydromel, d’alcool de petits fruits ou à base d’érable.

Durant 11 ans, ceux-ci ont pu profiter des foires alimentaires, marchés de Noël ou autres événements publics afin de promouvoir leurs produits. En décembre dernier, la Régie a fait volte-face en leur interdisant les sites «non exclusivement voués à la promotion des produits agroalimentaires». Des pertes évaluées à 25 000$ par événement pour chaque producteur. D’une production inexistante en 1985, le secteur produit désormais 3 millions de bouteilles par an.

Les producteurs artisanaux estiment que la nouvelle directive fragilisera «de façon sauvage cette industrie naissante» et constitue une attaque en règle à la liberté de commerce, d’autant plus qu’aucun autre créneau de commercialisation ou de distribution, ne leur a été proposé.

Les Laurentides regroupe la plus grande concentration de producteurs de boissons alcoolisées artisanales au Québec. Plusieurs des 20 producteurs de la région se sont distingués au fil des ans. C’est le cas notamment du vignoble Rivière du Chêne, lauréat de plusieurs médailles d’or pour ses produits. «Cette bataille aura beaucoup d’impact», affirme la coordonnatrice de la Table agroalimentaire des Laurentides,

L’agriculture laurentienne plus diversifiée

L’Union paysanne prévoit que si rien n’est fait, 1000 fermes pourraient disparaître chaque année au Québec d’ici 2015. Bonne nouvelle, les entreprises agricoles de la région résistent mieux au phénomène. On pourrait même assister à une recrudescence de celles-ci.

C’est du moins ce que prétend le président de l’Union paysanne, Benoît Girouard, lui-même enseignant au Centre de formation agricole de Mirabel.

Il y côtoie davantage de néo-agriculteurs, surtout intéressés à la production de niche et à la transformation, qu’aux productions traditionnelles. «L’argent est du côté de la transformation. Dans le système de gestion de l’offre, l’agriculteur est perçu comme un producteur de denrées un point c’est tout. Aujourd’hui, le lait goûte la même chose d’un océan à l’autre. C’est une erreur. Les marchés se fractionnent dans tous les domaines.»

Au Québec, 90% des productions sont non-différenciées. Pourtant, on fait grand cas de l’agneau de Charlevoix…
«On a oublié que nous avons essentiellement une agriculture nordique. C’est une folie de vouloir concurrencer avec le Mexique, le Brésil ou les États-Unis. Notre agriculture est trop énergivore. Même à ce temps-ci de l’année, les serres doivent être chauffées», illustre M. Girouard.

Le président de l’Union paysanne rappelle que tous les intrants chimiques (pesticides, herbicides, etc) sont dérivés du pétrole. Inévitablement, la fin de l’or noir à bas prix va sonner le glas de la production traditionnelle. Mais si rien n’est fait entre-temps, on risque de sacrifier une génération d’agriculteurs. La moyenne d’âge des entrepreneurs agricoles québécois est de 58 ans. Ceux-ci sont deux fois plus endettés qu’ailleurs au pays et trois fois plus qu’aux États-Unis.

Soutenir l’agrotourisme

Dans la région, la route touristique a incité le monde agricole à diversifier son offre de produits. Parallèlement, les marchés publics prennent de plus en plus d’essor. Certains agriculteurs vont jusqu’à fournir des paniers bios à des entreprises. Le dernier budget prévoit 20 millions de dollars pour la reconversion de l’agriculture et 14 millions sont prévus pour développer les fermes de proximité. «La conversion va prendre une dizaine d’années, prévient Benoît Girouard. L’UPA offre une résistance intense et le message ne se rend pas en haut. On est capables de faire beaucoup plus. L’agrotourisme par exemple, pourrait être mieux soutenu.»

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