Ça ressemble à quoi un(e) aîné(e) ?

Par Mimi Legault

CHRONIQUE

Bien avant aujourd’hui, un aîné, ben c’était un vieux. Un sourd-muet est devenu un malentendant. Un aveugle, un non-voyant. Un infirme s’appelle désormais un handicapé. Ça me fait sourire… C’est du pareil au même. Je prends soin quelques heures par semaine d’une dame de 95 ans qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Elle sait qu’elle n’a plus de mémoire, mais son intelligence vive et son jugement à propos sont demeurés bien intacts. Lorsqu’elle me demande dans quel endroit elle se trouve, je lui réponds qu’elle demeure dans une sorte de RPA (résidence pour personnes âgées). Elle me répond toujours : « Voyons, n’ayez pas peur des mots ! C’est un endroit pour les vieux, comme moi. » Bon, si vous voulez…

J’ouvre ici une parenthèse : je parlerai dans ma chronique des vieux, mais des vrais vieux qui croupissent dans des CHSLD, malades, seuls au monde, qui attendent la mort comme on attend un train qui n’arrive pas. Fin de la parenthèse.

C’est quoi un vieux, finalement ? Le mot résonne comme vieux pot de peinture, vieux linge, vieux bécik. Quelque chose dont on ne se sert plus. Dont on n’a plus besoin. Soit on le jette, soit on le répare ou on le met au rancart. Des vieux encore vivants, mais pas tout à fait morts. Qui manquent d’autonomie, de mémoire, de coordination et d’amour. Rendus à un âge avancé, ils ne disent plus : « je t’aime », mais : « aimez-moi ».

On les parque alors dans des endroits bâtis pour eux. Là où parfois ça sent la paparmane et l’urine. On leur donne des soins de longue durée. Pour être long, c’est lonnnnng. La résidence où je rencontre ma belle aux yeux bleus de 95 ans est extraordinaire. Je le dis sincèrement pour voir tout le personnel se démener pour leur offrir le meilleur d’eux-mêmes. Mais, il y a ce mais qui reste de tristesse au fond de leurs yeux. Ils s’ennuient. Pendant qu’elle en était encore capable, j’amenais ma vieille dame chez moi. L’été, elle coupait mes marguerites fanées de mon jardin en chantonnant, arrosait celles qui restaient, coupaient les légumes pour manger une bonne soupe. « Je revis, qu’elle me disait, je me sens utile ! »

On dit placer nos vieux. Ce mot sonne comme débarrasser. Je conviens qu’on n’a pas toujours le choix, mais on a celui d’aller les visiter. M’mande pardon, Madame ?  Vous n’avez pas le temps ? Je vous comprends, on a tous notre vie à vivre, nos télé-romans à regarder, nos courses à faire (le mot le dit), Facebook à surveiller. Comme a si bien résumé une dame l’autre jour : « Je n’ai même pas le temps d’aller aux réunions de parents. Comment veux-tu que je trouve celui d’aller voir ma mère qui ne me reconnaît même plus ? » Vous avez raison madame, de quoi parleriez-vous ? Et puis, vous revenez toujours bouleversée devant cette vie qui se liquéfie comme un soluté. Goutte à goutte.

Le pire, ce n’est pas d’être vieux, mais d’être considéré comme tel. Aujourd’hui, on soigne tellement l’emballage que lorsqu’on aperçoit nos vieux en jaquette, départis de leur orgueil englouti au plus profond d’eux-mêmes, on ressent comme une petite gêne. Faudrait penser comme le 6/49, qu’un jour, ce sera peut-être notre tour.

En 2006, ils étaient 90 000 bénéficiaires. Dans moins de 20 ans, ils seront tout près de 500 000. Un troupeau de vieux, des conteneurs d’aînés. Qu’on va continuer à empiler. Pour ne pas qu’ils souffrent, on les gèlera. On endormira leur dernier goût de vivre. Ça paralysera leur inconfort d’être presque toujours alités. Avec leur sourire qui manque de dents, ils seront tellement « attachés » à leurs lieux qu’ils ne pourront plus partir.

Mais rien de mieux que de se mettre dans leur peau pour essayer de les comprendre. Donc, mettez-vous des cotons tige dans les oreilles pour mal entendre. Des sparadraps autour des phalanges pour imiter l’arthrite. Placez des pois congelés dans vos chaussures. Ça vous donnera une p’tite idée de leurs souffrances physiques. Côté émotionnel, notez cinq personnes auxquelles vous tenez le plus, trois possessions dont vous êtes fier, et deux droits (conduire une auto, voyager). Tentez de vous détacher peu à peu de tous ces plaisirs que la vie vous offrait. C’est ça être vieux. Pour terminer, cette pensée de Pierre Doris : « Un jour, ma grand-mère s’est penchée sur son passé; il n’y avait pas de garde-fou, elle est tombée dans l’oubli… »

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