C’est ça le progrès
Par Mimi Legault
Mon père raffolait des autos de luxe. C’était son dada. Petit, orphelin de père trop tôt, il fut mis au pensionnat avec son jeune frère. Il se jura qu’un jour, il connaîtrait des jours plus fastes. Il a réussi. Donc, les grosses autos. Comme il était père de quatre filles uniques (expression de maman…), il réalisa assez vite merci qu’aucune de nous ne s’intéressait à ses gros bazous. Un jour, il arriva tout fier avec sa dernière acquisition : un Cadillac avec des ailes arrière longues comme ça. Je croyais que son auto allait s’envoler.
Pour fêter son achat, papa décida d’amener sa petite famille à Montréal au Centre Rockland, fouillez-moi pourquoi. Sur l’autoroute 15, il y avait des postes de péage. Rendu au premier pour y jeter son 25 cents, il pesa sur un bouton qui fit descendre non pas une vitre, mais toutes les quatre en même temps. Il paraît que l’électricité de ce genre de voiture était un problème. Vous l’avais-je dit? C’était l’hiver… Et les quatre vitres refusèrent de remonter. Ce qui fit que maman se réveilla le lendemain matin avec un torticolis du diable.
Dans le stationnement du centre d’achat, papa se gara loin des autres autos (pour ne pas se faire accrocher, qu’il avait dit); il pesa sur un autre bouton qui ouvrit toute grande sa valise arrière. Mal lui en prit, car au même moment, une petite dame âgée toute fripée qui portait avec difficulté ses 80 ans et ses deux gros sacs de commande et qui passait derrière l’auto eut tellement peur lorsqu’elle vit la valise s’ouvrir brusquement, qu’elle échappa toute sa commande. Papa avait dû aider la pauvre dame et payer les pots cassés, c’est le cas de le dire.
Le progrès, c’est comme le cholestérol, il y en a du bon et du mauvais. Ainsi, depuis quelque temps, je me heurte à des machines pour enregistrer mes achats plutôt qu’à des caissières. Manque de personnel, me répond-on. Merci Justin… Et les achats en ligne? Si ça continue, il n’y aura plus de belles boutiques où les gens pourront déambuler dans une atmosphère de fête. Pour sauver du temps, dites-vous? Mais quel temps? Pour le passer davantage sur les réseaux sociaux?
Je ne suis pas contre le progrès, mais plutôt de la manière dont l’Humain en dispose. L’évolution ne connaît pas de marche arrière. On fait pour le mieux, mais on demeure confus dans nos buts et les conséquences à venir. C’est Coluche qui disait : c’est joli le progrès? Demain quand on offrira un livre à un gamin, il le tournera dans tous les sens pour savoir où il faut mettre les piles.
Avant, la nature jouissait de son droit d’aînesse. L’Homme est né et le silence a fait place à une création inhumaine, bruyante, irrespectueuse de ses forêts et ses lacs, par la cacophonie de machines infernales. Même la musique y a goûté. Ce ne sont plus de belles notes qui s’envolent, on vit à une époque qui déguise par une sorte de bruit de cacanne qui cache la solitude de l’Homme en lui offrant ce que ce dernier croit être de la musique.
Me croirez-vous? Je ne suis pas d’un naturel pessimiste. Je réussis toujours à trouver quelque chose de rose dans la noirceur. Réaliste, ça oui. J’ouvre l’œil en me demandant qu’une fois que la tâche du dernier vivant sur terre sera terminée, que restera-t-il? Un grand trou noir parce que l’un des pays monstres aura voulu prouver qu’il était le plus fort.
La Terre a 4, 567 milliards d’années, elle paraît vieille pour son âge. Dans quelques années, faudra-t-il faire bouillir l’air avant de le respirer? Je ne sais plus où débute le mot progrès et où il se termine. Dans des pays totalitaires, il y a des télévisions dans chaque pièce, mais c’est elle qui vous regarde; c’est défendu d’arroser les fleurs, ça fait rouiller les micros… Comme a si bien dit Breigbeder : bientôt les pays seront remplacés par des entreprises. On ne sera plus citoyens d’une nation, mais on habitera des marques : on vivra en Microsoftie ou en McDonaldland ou en Calvin Kleinien.
C’est ça le progrès?