Championnes
Chronique d’un X
Elles ont entre 7 et 9 ans, et elles ont tout raflé, enfin, presque, puisqu’elles n’ont perdu qu’un seul match cette saison. Ces filles, c’est l’équipe de soccer que j’ai eu le privilège d’accompagner en tant qu’entraîneur-chef cet été.
À ma toute première rencontre avec l’équipe, j’ai posé une question: « Dites-moi, c’est quoi le but de ce sport? »
Elles m’ont répondu à l’unisson: « Le but, c’est de participer! » J’ai tout de suite répondu: « Non, ce n’est pas le but de ce sport. Avez-vous une autre réponse? » « Le but, c’est de s’amuser! », m’ont-elles immédiatement rétorqué. « Non, s’amuser est essentiel, mais ce n’est pas le but de ce sport », de leur répondre, en ajoutant: « Le but, les filles, c’est de mettre le ballon dans le filet adverse et de gagner. » Leurs beaux petits yeux étonnés m’ont alors regardé tels ceux d’un chevreuil figé par des phares de croisement sur la 329 en pleine noirceur! Plus tristement, j’ai trouvé que la surprise sur leurs visages angéliques était lourde de sens: elle reflétait un mal collectif, celui de cette peur de déranger, celle d’une société timorée et non assumée, celle qui a perdu plusieurs combats, ce qui a eu pour effet d’aseptiser l’éducation et le débat. Cette surprise, elle s’explique par le fait qu’on enseigne à nos jeunes que le but est toujours tout, sauf gagner. Quelle tragique naïveté!
Le slogan de l’Impact de Montréal, c’est «tous pour gagner », ce n’est pas « fais ton possible, mon petit Caillou », le dessin animé élevé par de douillets invertébrés! D’accord, un groupe de fillettes n’est pas comparable à une équipe professionnelle, mais je n’ai jamais trouvé que le sucre artificiel et ajouté rendait service à qui que ce soit. Je crois au contraire qu’il est capital d’exposer notre jeunesse, spécialement des femmes en devenir, à des modèles forts et positifs, en leur rappelant qu’il n’y a pas de mal à viser la victoire. Au fil du temps, j’ai l’impression que « gagner » est devenu aux mœurs ce que l’argent est au catholicisme: la racine du diable. Il faut cesser de démoniser l’ambition de vaincre et arrêter d’inculquer une fausse vertu à l’acte de perdre: on n’est pas nés pour un petit pain, puis on est peut-être au final, quelque chose comme un grand peuple, comme disait l’autre.
Il ne faut pas transmettre nos peurs à nos enfants. On doit enseigner à ces êtres purs que le but de la vie n’est pas de simplement participer, mais d’oser, oser se mettre en danger et briller de toutes ses lumières dans cette pièce de théâtre nommée «existence». Lorsque l’on vise la victoire et qu’on a tout donné, il devient ironiquement secondaire de remporter le trophée, car vous saurez que vous vous êtes dépassé. Après tout, n’est-ce pas le but de la vie? La vivre pleinement, repousser ses propres limites, et donner le meilleur de soi quoiqu’il advienne?
On dit que perdre forge le caractère et fait partie de la vie. Je suis d’accord, et perdre est même essentiel pour devenir un gagnant et apprécier toutes ses subtilités. Mais on n’est pas obligé de faire semblant d’aimer ça. De plus… lorsque les enfants sont placés dans un contexte où ils perdent systématiquement la vaste majorité de leurs parties, pensez à l’impact sur leur estime − c’est catastrophique sur les plans émotif et psychologique, et ça n’a rien de formateur de balayer tout sous le tapis protecteur de la rectitude.
À la fin, l’important, c’est de transmettre à nos jeunes (et peut-être à soi-même), l’importance de développer une vision claire. Ça débute par identifier la destination finale, celle que l’on souhaite atteindre, comme lorsque vous êtes au volant de votre voiture. Vous pouvez « participer » tant que vous voulez, mais si vous n’êtes pas clair au sujet d’où vous voulez allez, vous n’irez nulle part. Gagner, c’est ça, c’est un objectif, une destination souhaitée. On n’y arrive pas toujours, mais on se rend rapidement compte que c’est le parcours qui importe, et que si on n’avait pas cerné cette cible, nous n’aurions jamais quitté notre cocon.
Bravo à mes championnes, et merci à leurs parents progressistes qui, malgré la levée de quelques sourcils, ont fait confiance à une équipe d’entraîneurs peu orthodoxes qui, entre les discours enflammés et des séances de méditation animées, ont fait le choix d’élever vers le haut au lieu de niveler vers le bas.