Changer l’eau des fleurs

Par Frédérique David

CHRONIQUE

C’est le titre d’un livre que je n’ai pas lu. Pas encore. Peut-être que je ne le lirai jamais, mais le titre m’a interpelée car la phrase est belle. Elle respire la nature, la fraicheur, le simple, le naturel. En quelques mots elle dit tout ce que l’actualité ne dit pas, ne dit plus. Elle nous ramène à ces choses simples de la vie, comme les marques de pas dans la neige, le bruit de la pluie qui rebondit sur le toit ou le goût salé de la mer. Elle nous ramène au vrai, à l’essentiel, à tout ce que je nous souhaite collectivement pour cette nouvelle année. Du bonheur simple comme l’eau des fleurs à changer !

Se tourner vers l’autre

Changer l’eau des fleurs, c’est prendre soin du vivant, de l’autre. Ce qui devrait être une évidence s’est fondu dans notre engouement collectif pour un confort personnel, un moi en quête d’un mieux qui ne se satisfait jamais. Absorbés que nous sommes à vouloir rendre exceptionnel le banal, à vouloir ressembler à un idéal photoshopé qui défile sous nos doigts, on en oublie l’autre au détriment de nos cartes de crédit. Cet autre qui a tant à donner et à recevoir. Ce voisin qu’on ne connait même pas, cette collègue à qui on ne demande plus « comment ça va ? », cette caissière à qui on ne souhaite plus une bonne journée, trop concentrés à courir vers notre confort personnel, trop connectés à l’irréel.

Il y a aussi tout ce déni qu’on entretient quotidiennement pour ne pas voir la misère des autres, pour ne pas changer cette eau-là, qui ne contient que des pissenlits. J’entends régulièrement des gens dire qu’ils ne regardent plus l’actualité car c’est trop déprimant. Belle façon d’entretenir un déni, d’occulter notre interdépendance, de fuir l’inconfort causé par la détresse qui se vit à côté de nous.

Les fleurs ne sont pas toutes aussi reluisantes. Elles méritent pourtant qu’on en prenne soin avec la même attention. La famille récemment arrivée du Togo au coin de ma rue n’a pas bénéficié de la même attention que certaines qui ont perdu leur maison cossue à Los Angeles. Si la peine est tout aussi considérable, les ressources ne sont pas identiques. Prendre soin de l’autre, c’est parfois aller cogner à la porte d’un voisin qui ne parvient plus à payer son loyer pour apporter des bottes d’hiver à ses enfants.

Prendre soin de la nature

Changer l’eau des fleurs, c’est aussi se reconnecter avec la nature. Ce qui semblait une évidence au début de la pandémie a sombré dans un déni collectif nourri par un capitalisme dont on ne parvient pas à se défaire. Elles sont bien loin, désormais, ces marches que l’on prenait en écoutant les oiseaux jouir d’une atmosphère immaculée de bruit et de pollution.

La crise climatique frappe chaque jour avec une violence exponentielle qui semble alimenter un déni collectif né de schémas hérités devenus pourtant obsolètes. Nous ne sommes pas prêts à changer notre mode de vie malgré l’urgence dictée par cette catastrophe redoutable qui menace notre avenir et celui de nos enfants. Je nous souhaite de repenser notre rapport à la nature, car les extrémistes ne sont pas les écologistes qu’on ne veut plus écouter, mais ce « nous » qui ne veut rien changer et qui s’en va vers sa perte.

Je nous souhaite de nous inspirer des Autochtones qui ne se sont jamais placés en opposition à la nature, qui n’ont jamais cherché à la dominer, qui n’ont jamais adopté une position narcissique de supériorité, mais qui ont compris depuis longtemps déjà qu’elle est notre précieuse alliée.

Dans l’école où j’enseigne, il y a ce garçon de 12 ans qui, chaque jour, vient tenir compagnie à mon élève de 8 ans qui attend son grand frère. Personne ne lui a rien demandé. Chaque jour il arrive devant ma porte de classe pour tenir compagnie au plus petit parce qu’il sait que son frère est long à se préparer. Chaque jour, quand je le vois arriver, je me dis que j’ai confiance dans l’humain, qu’il y a du beau dans les générations à venir et que c’est ça changer l’eau des fleurs. Un geste simple qui fait du bien à l’autre, à soi, à nous collectivement.

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