Cette dangereuse grogne populaire
Par Frédérique David
Ce qui m’a profondément séduite, il y a près de trente ans, lorsque j’ai mis pour la première fois les pieds en sol québécois, c’est cette légèreté des êtres, ce côté « easy going » que les Européens du Sud, grands champions du klaxon et du doublage dans les files d’attente, n’ont jamais eu. Ici, le monde était zen, avenant. On se souciait des autres. On respirait le printemps. Il faut dire qu’il n’y avait pas encore un téléphone cellulaire dans chaque main, si bien qu’il était plus facile de marcher en regardant devant soi et de savourer l’air du temps.
Depuis, il y a eu la pandémie, certes, mais cela ne peut être la seule explication. Depuis, le Québec a pogné les nerfs et les automobilistes ont adopté un comportement calqué sur les Parisiens. Vas-y que je te double à droite en prenant soin de te signifier mon énervement par un grondement de moteur bien senti. Et ça, c’est si t’es chanceuse que je ne te montre pas autre chose dans mon rétroviseur. Le Québécois moyen a même découvert le klaxon. Et la courtoisie s’est diluée dans l’énervement ambiant laissant les piétons faire le pied de grue plus longtemps sur le trottoir.
Personnellement, c’est quand j’ai voyagé en Nouvelle-Écosse que j’ai réalisé vraiment ce que le Québec avait perdu en zénitude et en courtoisie. Là-bas, les automobilistes s’arrêtent sans cesse pour laisser passer des piétons en leur adressant de beaux sourires. Aux intersections, on s’obstine presque pour être celui qui laissera passer l’autre. Je vous mets même au défi de trouver des commerçants qui ne laissent pas un bol d’eau devant leur boutique pour satisfaire les passants à quatre pattes!
Il y a des jours où je me demande si la consommation de boissons énergisantes n’y est pas pour quelque chose. Calmez-vous la gang! Respirez! La vie est trop courte pour qu’on la passe à s’énerver de la sorte! Certains ressentent même le besoin de faire des distributions de câlins gratuits devant l’église de Saint-Sauveur pour ramener un peu de bien-être et de sourires. Au début, je trouvais ça ridicule; maintenant, je me dis que la municipalité devrait engager un donneur de câlins à temps plein! Après tout, il y a bien un poète officiel au Parlement!
Aujourd’hui, ce qui m’inquiète vraiment, c’est que la pénurie d’employés est en train d’exacerber cet énervement collectif. Au moment où on devrait être plus patient, la grogne est attisée par l’attente de son assiette au restaurant. Pourtant, ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que tu vas attendre quand tu t’assois sur une terrasse de soixante places et que tu vois qu’il n’y a que deux serveurs qui courent sans cesse comme des poules pas d’tête! As-tu vraiment besoin de vider ton impatience et ton agressivité sur un de ces deux jeunes qui est sur l’bord de tout lâcher, d’autant plus qu’il a certainement de la pression qui vient de la cuisine et qu’il subit déjà le stress du patron qui est sur l’bord de fermer définitivement ses portes? Le propriétaire du restaurant La Verdura, à Blainville, n’a pas hésité lui, en prenant soin de publier une lettre d’explication sur Facebook dans laquelle il mentionne l’arrogance et le paternalisme de certains.
« Ces mêmes personnes font la file chez Costco comme des moutons dociles, mais n’ont aucun scrupule à plaider énergiquement tous leurs arguments et menaces pour obtenir une banquette, une table à une heure indisponible ou tout autre exigence, comme s’ils étaient de prestigieux invités d’un restaurant cinq diamants », écrivait Alexandre B. Beaudin.
Récemment, des médias rapportaient que les agentes de bord de Montréal subissent des menaces, des insultes et même des agressions physiques de passagers mécontents des retards.
Au plus fort de la pandémie, les secrétaires et les directions d’école encaissaient cette même agressivité de parents furieux de devoir garder leur enfant à la maison ou leur faire subir un test de dépistage. Il y a des jours où je me dis que le monde est tombé sur la tête. Que ça va prendre une thérapie collective pour calmer tout le monde et redonner à notre province son calme, son humanisme et son accueil légendaire. Le tutoiement si sympathique aux yeux des visiteurs devient soudainement moins charmant quand il sert à proférer des insanités!
Mais le pire face à cette agressivité ambiante, à ce mécontentement sociopolitique qui se multiplie, c’est qu’ils nourrissent l’extrême droite et l’intégrisme chrétien. Le danger nous guette. On le voit déjà poindre son nez dans de nombreux pays. « Les mouvements d’extrême droite sont très bons pour récupérer les mécontentements dans la population », observe le sociologue Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR). On en est là, malheureusement.
2 commentaires
Madame David. Vos chroniques que je lis rarement car elles sont toutes sur le même moule, à savoir utiliser des québécismes pour faire plus couleur locale, sont rarement intéressantes. Toutefois, celle qui est publiée cette semaine m’a plongé dans une profonde stupeur. Les gens s’énervent dites vous dans leur vie civile, et vous terminez sur une raison évidente, l’accroissement des gens appartenant à l’extrême droite et apôtres de l’intégrisme chrétien. Allez jusqu’au bout de votre assertion et donnez nous des statistiques de la montée de l’extrême droite au Québec et dans les Laurentides, et livrez nous des faits objectifs démontrant ainsi les ravages de l’intégrisme chrétien, source des maux du monde occidental. Je brûle d’impatience.
A vous lire, Patrice Llavador
Maintenant que je suis définitivement rentré en France, je comprends mieux vos propos qui correspondent à l’ambiance locale.