Dehors novembre !

Par Jean-Claude Tremblay

Clin d’œil à la chanson, au 3e et dernier album des Colocs, un des textes sombres qui malgré sa sortie en 1998, est dramatiquement d’actualité, 22 ans plus tard, spécialement par les temps qui courent.

« Dehors novembre ! », c’est aussi ma façon de beugler d’une voix craquante et éreintée mon soulagement face à la page qui peut enfin tourner sur ce mois, un où la faucheuse est historiquement passée plus d’une fois visiter les mortels, tant au propre qu’au figuré.

Faire le piquet bien distancé en rang d’oignon sous la pluie froide de novembre, pour aller chercher de façon pieuse ses conserves et son papier de toilette comme en temps de guerre, pendant que d’autres dansent publiquement en se foutant des autres, ça épuise, mais ça peut toujours aller. Choper une maladie et vivre une fin de vie sur terre en temps de COVID, ça, c’est un calvaire résolument moderne et surréel. 

Prieuses sur invitation seulement

« Alors, vous avez juste à écrire sur cette feuille le nom des quatre personnes qui vont avoir le droit de visiter le mourant jusqu’à son dernier souffle ». Pardon ? De quessé vous venez de dire madame ? Oui… j’avais bien entendu, la gentille dame ne faisait que son boulot en suivant le !@#$ protocole sanitaire. Mais bon, je ne me plains pas vous savez, ça aurait pu être pire, on a quand même quelque neuf mois d’expérience, j’aurais pu être un proche dans les premiers temps de la COVID, lorsqu’on n’avait même pas le droit de dire au revoir à nos êtres chers, dépossédés du privilège de les voir quitter calmement la terre.

Bordel… où sommes-nous rendus ?

J’ai dû répondre à mes enfants qui demandaient s’ils allaient revoir leur grand-père que… « non, mes chéris… malheureusement, vous ne le reverrez plus en personne ».  J’ai pas trop osé leur dire pourquoi, car je n’aurais pas su comment leur expliquer que la liste des personnes qui peuvent visiter le centre de soins palliatifs est tenue d’imposer seulement quatre visiteurs récurrents, et qu’ils n’en font pas partie. Quelle époque.

L’effet « covid » sur le comportement humain

Cette marâtre de virus, cette violente enseignante de 2020, qui a le pouvoir, à travers la lucarne des peurs et des croyances de nos semblables élus, de décider de nos allées et venues. En cette année du nec plus ultra de la rectitude, une où les bien penseurs de la minorité imposent leurs croyances à la majorité, en tentant de mettre un masque et une gaine stérile sur nos pensées, je suis à la fois outré et épuisé. Il ne faudrait pas laisser la singularité de cette époque nous déposséder de qui nous sommes, et de ce que nous avons été… mais à en juger par le comportement de certains, je crains que la raison n’ait été lourdement affectée.    

Parlant de jugement… comme si la souffrance d’un être cher qui se meurt de mourir, dépossédé de sa dignité et surtout de son humanité, n’était pas assez, voilà qu’après les super-marchés et leurs rations, on nous impose la même chose dans les salons. « Oui papa ! Achetez votre urne sur le web, et en prime, vous êtes tenus de respecter les deux mètres et vous pouvez participer à la grand-messe de Facebook live – c’est inclus dans le prix, oui papa ! »   C’est quasiment pas une farce, j’étais estomaqué. Si vous n’êtes pas sur la liste « sélecte » des 25 permis au salon, allez sur Internet, mes fidèles. Vous pourrez brailler vos morts en « streaming ». Est-ce que j’ai dit : « quelle époque » ?

La fin des rites ?

Je crains. Je crains que l’on expédie outrageusement le « processus » de la mort physique, pourtant essentiel au monde des vivants sur terre. Je me fâche… mais je comprends, je comprends que les anges qui ont accompagné mon beau-père dans son dernier voyage en fusée, l’ont fait avec une extrême humanité, dans le contexte que la société leur a imposé. S’il est difficile pour les familles de voir leurs proches souffrir et partir dans ce contexte singulier, je me dois de saluer les bénévoles et les travailleurs qui s’affairent à redonner de la chaleur humaine dans ces rites que l’on tend à tasser, ou à carrément évincer.

Aux préposés, infirmières, à tous les Andy et Docteurs Rouleau de ce monde, MERCI de nous montrer que dans ce chaos, il est permis de garder espoir, et conclure que le monde est (quand même) beau.  Salut ! Monsieur Carter.

jctremblayinc@gmail.com

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