Épidémiologie de l’opinion

Par Jean-Claude Tremblay

jctremblayinc@gmail.com

Je suis tranquille sur mon balcon quand tout à coup, j’entends les pneus d’une voiture crisser et le moteur crier sa colère : ça y est, j’aperçois finalement le véhicule, il se dirige vers ma maison et entre en trombe dans ma cour. Une dame que je n’ai jamais vue de ma vie en sort rapidement et marche d’un pas décidé vers moi ; elle se met à m’enguirlander comme si nous avions élevé les cochons ensemble.

« Toué t’é rien qu’un imbécile, la merde te sort de la bouche, esti de vendu ! », me lance-t-elle, après avoir pris place sur mon balcon, confortablement assise sur une de mes chaises

« Je vous demande pardon, madame ? » de lui répondre, subjugué par un tel affront.

Alors que mon cerveau n’a pas eu une nano seconde pour traiter cette information, je me retourne et je vois un homme aux yeux exorbités qui se tient debout au bas des marches, et crie à son tour :

« Entièrement d’accord Colette ! Quel idiot, c’est de la propagande, ta yeule le merdia qui veut juste faire peur et contrôler le monde – liberté ! », me lance à son tour, d’un ton agressif, cet inconnu nommé Daniel.

J’ai appris que Colette est une grand-mère qui vient de fêter ses 72 ans, et que Daniel, lui, construit des maisons écologiques – des personnes dites « normales ». L’histoire ne s’arrête pas là, car ma cour s’est littéralement remplie d’étrangers, tous plus hostiles les uns que les autres, prêts à me faire la peau, car j’avais osé prendre position sur un enjeu de santé publique. Il y a eu d’autres incidents, sur d’autres sujets, mais chaque fois, ce qui m’a jeté par terre, c’est que les gens se sont permis d’entrer chez moi, sur mon terrain, dans ma bulle, en trouvant ça normal de me crier après, à deux pouces du visage.

Oui, c’est une analogie. Troquez le balcon et la chaise par le mur d’un espace Facebook personnel, et l’histoire est vraie. Cette image témoigne de mon désarroi face à cet inquiétant mouvement qui croit acceptable (sinon essentiel) de donner et répandre son opinion (souvent accompagnée d’injures), sur le plus grand nombre de plateformes possible, si bien qu’il faut désormais installer des clôtures – ce que j’ai appris à faire avec le temps. À une époque, la lettre manuscrite était la seule façon d’y arriver. Il y avait un « tampon » de réflexion obligatoire. Maintenant, c’est instantané.

Je comprends que le monde est exaspéré, et que c’est plus facile de cracher sur quelqu’un assis devant un écran, que de dialoguer en face à face, mais quand tu es rendu à menacer de mort des politiciens comme la semaine passée, ça ne devrait pas être un signe qu’on est allé un peu trop loin ? Est-ce qu’il y a des volontaires pour se présenter aux prochaines élections avec les trolls qui semblent désormais former la norme ? Comme dans mon exemple avec Colette et Daniel, les trolls ne sont plus seulement des hurluberlus que l’on peut identifier à des kilomètres à la ronde. Ce sont des gens de notre entourage. Mais que diable s’est-il passé pour que les personnes tiennent mordicus à déverser de manière non civilisée toutes leurs saletés sur l’humanité ?

Oui, je suis d’avis que cette saloperie de COVID-19 a réussi à nous jouer dans la tête solide. Oui, la situation est exacerbée par une omniprésence médiatique, souvent opportuniste, pas toujours des plus éthiques. Mais blâmer les autres constamment et non sans violence ne fait qu’alimenter le feu de la haine et n’est en rien constructif.

J’entends beaucoup de cris et insultes personnelles, blâmant le gouvernement, les médias, les « pros », les « antis », mais j’entends très peu de gens simplement se demander ce qu’eux-mêmes peuvent faire pour diminuer leur propre anxiété, et gérer leur peur.

Tout ce bruit donne mal à l’âme individuelle et sociale. Toute vérité n’est pas bonne à dire, dit le proverbe. Imaginez l’opinion.

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