Noël rouge

Par Jean-Claude Tremblay

Ça y est, le verdict que l’on redoutait est tombé, le couperet a tranché le peu d’espoir que les « jaunes orange » avaient fondé. J’aurais aimé ça me fâcher, me rebeller contre le gouvernement, engueuler vigoureusement les irresponsables et tous les autres égoïstes, mais j’en ai été incapable. Non, la colère n’a jamais pris le dessus sur la déception, et surtout, sur l’empathie.

J’ai immédiatement pensé aux personnes seules, prises avec un ratio « d’un visiteur », pour partager de manière expéditive une tranche de dinde, et peut-être, en poussant l’audace, espérer avoir de la compagnie pour traverser la nouvelle année. Imaginez… je ne vous parle même pas des familles séparées, déchirées, car leur plan de visite vient de s’évaporer – « alors, qui d’entre nous ira visiter maman cette année, est-ce qu’on fait un tirage au sort afin de le déterminer ? »

Nostalgie assumée

Avec tout ça, je n’ai jamais autant repensé aux rassemblements de Noël de mon enfance. La visite qui mettait ses bottes dans le bain, la boisson au froid sur le perron, et les fameux manteaux de fourrure empilés sur le lit… Quelques dizaines d’années plus tard, je peux encore sentir l’odeur distincte et réconfortante des parfums qui se mélangeaient, ceux qui me rappelaient que mes tantes et mes oncles veillaient au grain, non loin.

Je les entendais rire aux éclats, discuter passionnément d’actualité, jouer à des jeux inusités, danser, et surtout, taquiner leurs parents, mes grands-parents, qui eux, les yeux brillants, savaient ce que tout le monde ignorait ; il faut profiter du moment présent, car avant longtemps, il passera, et souvenir il deviendra.

À cette époque, personne n’était sur son téléphone intelligent, ou sur sa tablette, seul dans son coin, obnubilé par les dernières nouvelles de Facebook. Cousins et cousines ne s’isolaient pas non plus pour naviguer sur TikTok ou Instagram, ou pour s’exiler dans un quelconque monde virtuel. Aussi, « c’est quoi le mot de passe du WIFI ? » n’était pas la première question qui était posée lorsqu’on arrivait quelque part.

Personne n’était pressé de prendre une interminable série de photos « parfaites », de tout et de rien, pour les partager sur les réseaux sociaux, histoire d’attirer des compliments d’étrangers que l’on appelle inadéquatement « amis ».

Notre plus précieux bonheur était devant nous, en chair et en os, à moins de deux mètres de distance.

Évolution

Au fil du temps, les rassemblements animés par les grands-parents ont cédé graduellement leur place à l’opulence de la table de maman. Jusqu’à la fin de sa lucidité, le 25 décembre a toujours été sacré ; nous étions seulement quatre à la visiter, mais elle cuisinait pour une véritable armée – tiens, juste à y penser, il me vient des images et des odeurs de sa généreuse tablée !

C’est peut-être la situation de pandémie qui me donne le goût de me rapprocher, me donne soif de vivre et de célébrer, mais je n’ai jamais eu si hâte aux fêtes que cette année. Je peux vous dire que chez nous, les lutins farceurs redoublent de créativité et multiplient les coups d’éclat humoristiques, sans jamais de méchanceté. Ils seront vraisemblablement actifs jusqu’à l’arrivée du père Noël, le vrai, qui passera dans la nuit pour déposer des paquets bien enveloppés ; simples prétextes pour rire et s’émerveiller.       

Avec tout ça… je réalise que le réconfort que j’associe au sympathique personnage à barbe blanche emballé de velours rouge, est immensément plus profond que je pensais – c’est un portail qui donne accès à une chaleur d’enfance, à un sentiment de sécurité et de légèreté qui fait du bien à l’âme. Peut-être aura-t-il fallu perdre une partie de ce que l’on croyait posséder, pour renouveler notre gratitude et revoir nos priorités ?

Plus vous avancez dans le temps, plus vous réalisez qu’au fil des années, des places se libèrent à la table à dîner, et que la quantité de dinde et de tourtières doit être ajustée. Malgré le contexte singulier, il n’en tient qu’à nous d’honorer ceux qui ont été, et de créer cette année des souvenirs qui dureront une petite éternité – je vous souhaite de belles festivités, recevez mes meilleurs vœux d’amour et de santé.

jctremblayinc@gmail.com

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