Presse-citron
Par daniel-calve
Chronique d’un X
On disait de la presse locale qu’elle était le chien de garde de la démocratie citoyenne, qu’elle était essentielle à maintenir un équilibre et favoriser une forme de justice de proximité. Elle avait comme mandat de donner une voix à ceux qui n’en avaient pas, de mettre les politiciens véreux en évidence, et les promoteurs trop gourmands sur le qui-vive. La caractéristique « locale » de cette presse, en plus de jouer un rôle de premier plan dans le divertissement, le rayonnement culturel et économique de région, avait aussi comme mission d’enquêter, et de jeter un faisceau de lumière sur les activités autrement obscures, qui pouvaient prendre place, en mode furtif, sous le radar des médias nationaux qui ont d’autres visées.
Non elle n’est pas morte, mais oui, j’en parle au passé, car son rôle fondamental est plus que jamais menacé et je crains pour sa pérennité.
Permutation du rapport de force
On a longuement parlé de virage numérique, des infâmes Facebook et Google, et des revenus publicitaires qui ont fondu comme neige au Sahara, ce qui a mis hors circuit nombre de médias. Ce dont on parle moins, c’est que les médias locaux toujours en vie sont de plus en plus menottés, à la merci des bailleurs de fonds qui viennent exercer une pression sans précédent sur leurs opérations.
Moins de contenu d’information et trop de pubs : tu perds ta crédibilité journalistique. Trop de contenu et moins de pubs : tu n’as plus de revenus et tu fermes boutique. « Dur dur » d’être éditeur aujourd’hui, c’est ce que les Anglais appellent un « catch 22 ». Je vous le donne en mille, le parfait équilibre n’existe plus et ce n’est pas simplement en pompant plus d’argent dans le modèle d’affaires actuel des entreprises médiatiques locales qu’elles vont nécessairement survivre – il faudra repenser l’offre de service et ultimement, redéfinir la mission.
« Mon argent, ma décision »
Le scénario est le suivant : un jeune chroniqueur, une tournée des attractions de son patelin, un texte léger qui établit un « top 10 » des meilleures activités à faire dans le coin.
Les téléphones du rédacteur en chef et du président du média régional concerné sonnent le lendemain. Au bout du fil, le propriétaire d’une entreprise qui n’a pas fait le palmarès dudit chroniqueur.
En colère, il invective les deux parties, et menace carrément de retirer au média tous ses placements publicitaires de ses entreprises si la situation n’est pas rectifiée, car son organisation « aurait dû être dans le top 10 ». Vous pensez que cette histoire relève de la fiction, ou encore qu’il s’agît d’un cas unique ? Détrompez-vous, ce chantage (direct ou indirect) est monnaie courante dans les médias locaux au Québec et ailleurs dans le monde.
Quand ce n’est pas l’entrepreneur qui veut contrôler le message et s’acheter une crédibilité, c’est le politicien qui en échange de « primeurs » ou de placements publicitaires, s’attend à ce que le média local devienne un peu l’extension de son service des communications. Non, la tentative de manipuler ou de contrôler n’est pas généralisée et oui, il y a encore une manne de gens intègres et impartiaux, mais ça arrive tout de même régulièrement et j’en ai plus qu’assez de voir des collègues et des éditeurs se faire littéralement harceler, au nom du pouvoir et des ego démesurés.
L’urgence de l’autonomie
Est-ce que l’indépendance de l’information passera par un changement de modèle d’affaires, un où le modèle coopératif sans but lucratif servira d’abris aux missiles qui menacent ouvertement la liberté de presse ? Les paris sont ouverts, mais chose certaine, l’intimidation doit cesser, les professionnels et dirigeants de la presse méritent mieux et les citoyens sont en droit de connaître la vérité – ils doivent être adéquatement alimentés afin qu’ils puissent eux-mêmes se forger une opinion éclairée.
Mon intégrité n’est pas monnayable, celle de vos journaux non plus. Pour moi, la presse locale est la courroie de transmission d’une fierté collective et communautaire, c’est la meilleure façon de rester branché avec son monde, de s’informer, de se divertir, et surtout, de se rassembler. Je la souhaite libre, indépendante, forte, et colorée – elle pourra ainsi mieux servir son public et le protéger.
Jean-Claude Tremblay
jctremblayinc@gmail.com
1 commentaire
On sait que la sacro-sainte indépendance journalistique n’existe en fait que dans la tête de certains rêveurs idéalistes. Chaque organe de presse, écrit ou électronique possède sa ligne éditoriale. Cette ligne teinte l’ensemble des articles dans leur contenu et dans l’angle abordé. Cela a toujours été. Je sais au départ que LaPresse, le Journal de Montréal, The Gazette ne traiteront pas la nouvelle de la même manière. Il en va de même des hebdos locaux. On laisse subtilement plus de place à un point de vue qu’à un autre, on choisi ses interlocuteurs, on va même jusqu’à bloquer les commentaires de citoyens trop critiques de la ligne du journal. Je peux en témoigner personnellement, Accès n’est pas sans faute à ce sujet.
La guerre actuelle pour les recettes publicitaires fait ressortir les demi-vérités, les exagérations et les épouvantails: JE suis le gardien de la démocratie, si JE tombe, s’en est fini… Le gardien de la démocratie, c’est l’implication citoyenne. Assister en personne aux séances du conseil de ville, questionner les élus(es) c’est contourner le filtre journalistique. Ce filtre est louable quand il rempli son rôle premier: objectiver les faits, les informations. Mais comme mentionné plus haut, le filtre sert plus souvent à accorder les faits et les infos à la ligne éditoriale.
Votre argumentaire relève du faux dilemme. Les sources ne s’opposent pas, elles se complètent. Le problème, c’est que l’analyse en profondeur qui ferait la force du journalisme écrit n’existe plus, ou si peu. L’instantanéité, le fast-food journalistique qu’adopte trop facilement la masse des citoyens vous offre peu de chance. On a accès rapidement aux événements via le web et on passe tout de suite à autre chose. Une publication hebdomadaire ne pourra jamais suivre le rythme. L’analyse partiale ou non n’a plus d’intérêt puisque les opinions sont déjà campées.
Votre journal passe chez moi via Facebook. Le travail de réflexion se fait en majeure partie par la lecture des commentaires. Certains sont fort pertinents, mais même les commentaires « champs gauche » sont utiles. Ils expriment maladroitement des craintes, des incompréhensions, véhiculent des « faits alternatifs » qu’on doit connaitre pour mieux les combattre.
Vous voulez vous affranchir complètement des pressions commerciales? Il existe une voie: le blogue. L’indépendance d’une salle de rédaction, ça n’a jamais existé.