Tourner la page
À peine ado, j’aimais beaucoup écouter les Simard chanter cette chanson populaire, sans trop chercher à comprendre ce que ça racontait, ni ce que ça voulait dire. Plusieurs années auparavant, haut comme trois pommes, c’est « Pour le plaisir de partir » de Joe Dassin qui jouait dans notre petit salon de la rue St-Paul. « Besoin de grandir, besoin de partir, un jour tout bazarder », wow, que de liberté ! Puis s’y mélangeait parfois du vieil Aznavour, dont le 33 tours abordait de manière mélancolique le sujet du départ, en chantant douloureusement « Il faut savoir » – une chanson d’amour qui vous arrachait des larmes!
Qu’il s’agisse d’une histoire d’amour, d’une maladie, d’une amitié ou d’un emploi, tout fini un jour par se transformer, et pour beaucoup d’humains, le changement est souvent synonyme de « fin », une que l’on redoute et que l’on fuit, pour cause – Rares sont ceux qui portent le désir de se précipiter dans ce gouffre inconnu que représente « la fin », ce vide malaisant, cet inconfortable, ce négligé volontaire de notre destiné.
Ne pas décider… c’est décider
J’ai l’impression que le fait de tourner la page est plus souvent imposé que choisi. La vérité c’est que le statu quo est un choix en soi, et s’accompagne de ses résultats. Il vient un temps, ou si la remise en question n’est pas volontaire, dans toutes les sphères de notre vie, la facture qui nous est présentée excède souvent les profits jadis récoltés. Ça prend une dose de lucidité, de la discipline, une certaine volonté, et le courage de s’aimer assez pour vouloir défier la gravité qui nous incite à l’immobilité.
C’est pourquoi certains politiciens s’accrochent et perdent leur crédibilité, certains couples continuent de vivre ensemble sans amour par formalité, et que certains employés malheureux comptent les jours où ils pourront enfin arrêter.
On attend, on se contente, on n’ose pas, jusqu’au jour où… le politicien est forcé à quitter, le conjoint veut se séparer, l’employeur met à pied, et le médecin… annonce que finalement, manger régulièrement des cochonneries en grande quantité sans faire d’exercice pendant longtemps vient de vous rattraper.
Le futur est le présent
Nous n’avons pas beaucoup de perspective, nous, les humains. Nous réalisons mal le fait que les histoires d’amour ne finissent pas « juste comme ça », que la fin est causée par une succession de négligences et de circonstances, répétées régulièrement, aussi minimes soient-elles. Idem avec notre santé, que nous tenons à tort pour acquis, vivants la plupart du temps comme des immortels.
Les décisions d’aujourd’hui changeront littéralement notre demain, ça restera toujours le principe fondamental du jardin, dans lequel on sème dans le présent les fruits que l’on désire récolter éventuellement.
Tourner la page… au bon moment, ce n’est certes pas évident, mais éminemment payant. Afin d’apprécier adéquatement un grand bordeaux, mieux vaut ne jamais apercevoir la lie gisant sans liquide au fond de la bouteille, du moins pas en une seule occasion, autrement, l’expérience devient accessoire, voire triviale. Mais bon, vous connaissez l’expression de Coelho : « l’être humain a deux grands problèmes ; le premier est de savoir quand commencer, le second est de savoir quand s’arrêter ». Nous aurons probablement toujours à faire face à cette dualité, mais il n’en tient qu’à nous d’en prendre conscience, d’apprécier le présent, tout en se rappelant que le don de soi doit toujours être précédé de l’équilibre du moi.
Ayons la sagesse de croire en nos décisions, et au fait que la fin ne peut exister sans un début, et qu’ainsi, la vie ne s’arrête jamais.
Écrire et être lu est, et restera toujours, un grand privilège. Merci à toute la tribu d’Accès et Le Nord pour votre soutien indéfectible au fil des années. Quant à vous, chers lecteurs, recevez ma plus profonde gratitude. Parler des travers et de la grande beauté de notre société et de ceux qui la compose aura été mon leitmotiv, votre attention, ma plus précieuse réalisation.
À la prochaine fois.