À deux plateaux du bonheur

Par Éric-Olivier Dallard

Le plaisir de l’effort???!!!

Tout le monde fait son jogging,

c’est l’pied j’vous dis pas

Bon, le rédac’ va encore faire figure d’hérétique… chauffez vos bûchers, citoyens, et tout ce que la ville produit de sportif et de sain!

C’est que c’est charmant, Josée, vraiment, ton histoire de plateaux et de sommets à gravir à vélo. C’est joli ton truc de sueur et de dépassement de soi.

Mais dis-moi: tu y trouves quoi exactement? Moi, je n’y vois que de la littérature (ouais, d’acc’, c’est déjà pas mal!); je n’y vois que de la littérature et les relents de la belle iconagraphie judéochrétienne: tu portes ta croix… la chance que t’as, j’te dis pas!

Le plaisir de l’effort, la douleur du dépassement, moi, jamais rien compris à ces choses. Pis après on se moque des cathos intégristes qui se flagellent ou portent le cilice! Vraiment, non, complètement dépassé par ce «dépassement» le mec, dépassé par tout ça qui, pourtant, est élevé depuis deux décennies au rang de nouvelle religion (en fait, y’a rien de nouveau sous le soleil, la «religion» en question et son temple des salles de gym: je le répète, on est en plein judéochristianisme primaire).

Quand je fais des vraies heures de vrai malade chez Accès pour sortir une bonne histoire aux lecteurs, pour trouver une façon de présenter des faits, le vrai plaisir, il est toujours dans le résultat, le papier encré et ce qu’il dit aux gens. Le plaisir d’une Vérité en marche.

Et je ne vois absolument pas ce que tout le reste peut bien avoir pu m’apporter, sinon du sommeil en retard, des yeux cernés et des brûlures d’estomac! Non, rien d’autre qu’une symbolique abrutissante à la Paulo Coelho. (D’ailleurs l’alchimie, savez, c’est bidon: on n’a jamais transformé la boue en or; la lumière ne vient jamais des poubelles, soulevez tous les couvercles, vous verrez bien.) T’es gros. Tu passes des semaines, des mois à t’entraîner. Tu «te prends en main» (!) Tu deviens mince. T’es heureux. T’as du plaisir à l’être devenu, d’accord, ça valait la peine, tu peux être fier.

Mais, vraiment, ces heures passées à courir sur place, comme un rat de labo avec ses électrodes, à surveiller ton rythme cardiaque? Du bonheur???

Décidément, l’on n’a pas les mêmes plaisirs!!!

Ma première moto, because mes parents pourtant d’une prodigalité sans fin à mon égard m’avaient prévenu que jamais ils ne m’offriraient un «engin aussi dangereux», je l’ai payée en cueillant des petits fruits (me souviens même plus lesquels!) et en souffrant d’insolation, tout un été, chez un cultivateur. Croyez-vous vraiment que l’été suivant, quand je roulais sur mon «engin aussi dangereux», le vent portait de meilleures effluves parce que je l’avais gagné, ce vent, «à la sueur de mon front»?! Bullshit de bénitier! Quand tu sues à grimper, tu vois quoi, Josée? Ta roue avant, ton guidon, le changement de vitesses sur ta droite, le changement de plateaux sur ta gauche, les fissures de l’asphalte. Le plaisir? Il est ailleurs, donc, dis-tu. Dans l’effort. Tant mieux pour toi, sérieusement, si tu le ressens, le plaisir de l’ascension, courbée sur ton machin à deux roues, au-delà des courbatures.

Pour moi, le seul plaisir, il est au sommet, si la vue est belle. Oui, toujours dans le résultat. Dans ce que l’effort produit, dans ce que le travail livre. Jamais – et surtout pas! – dans les seuls effort ou travail. La «beauté du chemin»? Elle est dans la «beauté du chemin»! Toute là. Pas dans «l’effort du chemin»!! Le plaisir d’une bonne bouffe, il est dans le goût et la présentation des aliments; il est dans la chaleur des discussions, la vivacité des échanges. Pas dans les dollars qu’elle coûte, bordel!

Et puis, ces nouveaux vélos, tsé là Jopi, avec des tits moteurs électriques, franchement, ça doit être le pied intégral!

Le sommet, la vue qu’il offre… Avoir sué toute l’eau de son corps sous un soleil de plomb pour l’atteindre… vraiment, je ne vois pas en quoi cela rend le sommet en question plus beau. Ce que je veux dire, au fond: trois plateaux, c’est vraiment mieux, t’es certaine, Jopi? Messemble qu’avec trois, t’es à deux plateaux du bonheur, non? Imagine, l’effort avec un seul, comme on avait tous dans l’bon vieux temps… Le bonheur de l’ascension, j’te dis pas!

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