De grosses Harley, de branches d’olivier et, surtout, de Branches de Jasmin

Par Éric-Olivier Dallard

«Elle rêvait de voyages

De bagages de paysages

De grosses Harley avec des chromes

Elle me disait déconne pas déconne pas

On va pas rester comme ça

Je veux les prairies les fleurs jaunes

On va pas faire comme les gens

Vivre à cause de l’argent

On laisse tout on taille la zone

Elle rêvait de voyages

De bagages de paysages

De grosses Harley avec des chromes

Moi mon portable et mes calmants

Mon compte d’ épargne logement

Notre amour taillait la zone»
– Tailler la zone, Alain Souchon

Il y a quelques semaines, j’écrivais une chronique irrévérencieuse sur les pubs irrévérencieuses des motos Harley Davidson («Ma claque des mômans – Fils de pub»), comme le faisait d’ailleurs aussi Josée («101 raisons d’être scandalisé?») – textes toujours disponibles sur www.www.journalacces.ca.

J’écrivais donc un billet délinquant: «Ben oui, j’en ai contre l’obligation du port du casque à moto, contre la limite de 100 km/h, contre l’obligation de la ceinture de sécurité, contre l’interdiction du cellulaire au volant et de la cigarette dans les bars; j’en ai contre la pénalisation du suicide assisté et de l’euthanasie; j’en ai contre le “Mosquito”, cet engin qui émet des ultrasons que seuls les ados perçoivent, agressant au point de les faire déguerpir de la zone où sévit le machin; j’en ai contre le Taser-Gun et le syndicalisme… J’aime pas que l’on encadre à tout vent. J’aime pas les “mômans” quand elles font semblant de protéger, qu’elles singent l’amour avec les gestes du contrôle, à grands coups de règlements et d’interdits (“C’est pour ton bien…”). J’aime pas quand l’autoritarisme le plus noir se drape de blanche vertu. (…) Ils sont là les vrais coûts du système de santé, dans les pesticides et le Botox, dans les déchets des papetières, le compost que l’on fait avec et les carottes que l’on plante dedans. Il en faut du temps pour passer des lois là-dessus, hein?! L’on n’est pas pressés de légiférer quand la Sécurité se heurte au Fric. (…) Oui, z’allez bientôt voir des **kids** de cinq ans portant casque avec visière, genouillères, portège-coudes, veste en kevlar, gilet de flottaison; déambulant simplement, à pied et sans courir, sur le trottoir. Avec un peu de chance et un bon lobbying des mômans, ils vont bien voter une loi là-dessus.»

Vous savez?, j’ai trouvé sinon un **alter ego** certainement un écho de cette délinquance chez un Laurentien – pourtant grand-père, c’est sans doute ce qui ajoute au charme de cet écho –, un Laurentien à l’écriture et au destin formidables, que j’ai eu l’immense honneur de côtoyer un moment dans les pages d’Accès: Claude Jasmin, le «Victor Hugo du Québec», selon moi peut-être plus encore que le prolifique VLB (son éditeur d’ailleurs). Je sors de la lecture de son dernier livre, **Des branches de jasmin – L’art d’être un grand-père délinquant (le titre dit tout, pas besoin de résumer)… j’en sors donc et en ressors surtout, comment dire?, ravi. Absolument. Et charmé. La tête et le cœur remplis d’oxygène coloré. L’on a beaucoup dit de ce livre qu’il «rejoindra peut-être les grands-parents ayant une relation privilégiée avec leurs petits-enfants, mais risque de laisser indifférente la majorité du grand public» (propos de Gabrielle Madé, de l’émission Ça manque à ma culture, Télé-Québec; des propos qui rejoignent ceux de quelques autres critiques…)

Puis-je? Ce livre m’a rejoint, moi qui n’ai pas d’enfants, moins donc encore de petits-enfants. Il m’a rejoint dans son audace toute jasminesque, dans son écriture – dont certains ont dit qu’elle était d’un style «plutôt vieillot, aux phrases courtes et aux propos souvent décousus» –, cette écriture que j’ai trouvée toute sautillante, comme le sujet, comme ses cinq petits-enfants que l’auteur entraîne à croire que tout est possible, leur donnant ainsi des ailes qui «les envoleront»; cette écriture pas toujours propre et ordonnée, comme l’est le Jeu qui salit les salopettes, rougit les genoux, égratigne parfois certains parents; cette écriture pas toujours facile, comme l’est la Transgression et son corollaire, la Liberté. Oui, ce livre m’a rejoint dans l’Apprentissage de la bousculade de l’Ordre, du désobéissance aux ordres.

Mais peut-être ne suis-je pas «grand public».
**Monsieur Jasmin, vous m’invitiez il y a un peu plus d’un an pour un verre de rouge chez vous. Le temps de démarrer ma Harley, j’arrive.**

Pour lire un extrait du livre «Des branches de jasmin – L’art d’être un grand-père délinquant» de Claude Jasmin (publié chez VLB éditeur), cliquez sur l’onglet «Altitude», sur www.www.journalacces.ca, et allez à la fin de cette chronique…
**************

EXTRAIT DE «Des branches de jasmin ou l’art d’être grand-père délinquant», de Claude Jasmin, publié chez VLB éditeur.
«Arrivé rue Chambord en ce beau jour printanier de 1992, je déclare solennellement: « Écoutez-moi bien, mes amis, prenez-vous chacun une pelle, on va creuser aujourd’hui. J’ai lu des informations secrètes et nous allons à la découverte d’un trésor caché. Dépêchons-nous.» Les trois gamins s’excitent : « Un trésor papi, un vrai ?» Je vais, au cabanon de leur cour pour m’emparer de la pelle pointue du papa, Marco. Deux du trio sortent leur petite pelle de scout, le benjamin prend sa pelle de tôle rouge.

En route ! Stationnement de la volks et nous fonçons vers le grand parc. Je distingue un des îlots entourés d’eau : «Vous voyez cette île ? Elle sera notre île, les gars. D’après mes informateurs, c’est là que des pirates disparus auraient enterré leur trésor. Leur surprise, un doute : « Comment ça, quels pirates, papi ? » Je sors ma fable : « Mes amis, il y a très longtemps, des flibustiers cherchaient par ici une route d’eau pour atteindre la Chine. Il y a eu de terribles batailles sur cette rivière, des voiliers ont sombré. Un groupe de ces forbans -je ne manquais jamais de tenter d’enrichir leur vocabulaire- fut obligé de cacher leur trésor sur cette petite île, ici. Au travail mes amis ! »

Les enfants regardent longuement la rivière des Prairies, à proximité, semblent imaginer des combats épiques, ils sont graves, comprennent qu’ils font face à une découverte d’importance. Les enfants sont si sérieux à l’occasion, on ne le sait pas assez. Il y avait toute cette eau autour du monticule mais, la chance, nous trouvons un solide madrier près d’une table de pique-nique. Ce sera notre passerelle. David, l’aîné, m’aide, joue toujours le plus fort et, vite, nous voilà sur « notre » île au trésor. Les pelles vont s’activer.
« Creusons, mes amis, oublions pas, c’est écrit dans la loi maritime : qui trouve, garde ». Aux quatre coins de notre îlot de circonstance, pièces de gazon qui lèvent. Les langues sont sorties. L’énergie des chercheurs n’est-ce pas ? Ça creuse ! J’ai bien pris soin de m’isoler des garnements et, dans mon coin, , je soulève un coin de terre pour y déverser « le trésor ». Je me vide les poches de mon coupe-vent. Avant cette expédition, j’étais allé rue Saint-Denis coin Jarry, dans un « dollarama ». Achat de colliers, bracelets, bagues. Bimbeloterie bon marché, pacotille. J’en avais pour vingt dollars. Bêtise d’un distrait, j’y jette aussi toute ma menue monnaie. Je le regretterai. Vite, je replace soigneusement mon morceau de tourbe.»

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *