Grand-père et Confucius
Par Journal Accès
Chronique d’un X
Jean-Claude Tremblay
Confucius (551 à 479 av. J.-C.), le célèbre philosophe chinois, était un obsédé des règles. Malgré son noble but de départ qui était l’harmonie des relations humaines, il était étatiste, prônait les principes moralistes et la hiérarchie. Sans diminuer son énorme apport à l’évolution, j’avoue être plutôt de mèche avec son contemporain d’une vingtaine d’années : Lao Tseu, père fondateur du taoïsme. Ce dernier croyait que les règles ne faisaient qu’inciter les briseurs, lui qui valorisait la spontanéité, lui qui redoutait les raideurs sociétales. Il se prendrait sûrement la tête aujourd’hui, en constatant que la complexité dans laquelle nous vivons a atteint un paroxysme sans précédent.
Mon grand-père, lui, a bâti son entreprise de plomberie en 1946, durant l’après-guerre. À défaut d’avoir un camion à ses débuts, il prenait une brouette pour transporter ses outils d’un client à l’autre, dans nos belles Laurentides. Oui… n’ajustez pas vos yeux, j’ai bien écrit une « brouette » comme dans « j’agrippe deux poignées, je soulève et je pousse ce large contenant d’acier à une roue, de client en client ». Je ne sais pas s’il aurait pu le faire aujourd’hui, 71 ans plus tard. Au rythme où a évolué la bureaucratie, il serait peut-être encore en train de remplir la paperasse administrative, au lieu de faire ce qu’il faisait de mieux : aider les gens.
Quand on y songe, l’ironie est peut-être plus près de la réalité que l’on veut bien le croire. D’abord, si tout cela se passait aujourd’hui, il lui aurait fallu demander un permis de conduire de brouette, pour emprunter la voie publique. Attendez… j’y pense… pour avoir ce permis, il aurait d’abord fallu qu’il s’inscrive à des cours obligatoires, dans une des écoles de conduite de brouettes dûment autorisées par le ministère.
Ensuite, pour utiliser cette brouette, il aurait fallu payer les droits de cotisation et l’immatriculer, non?
Après, il aurait fallu qu’il demande un permis pour exercer son métier de plombier, permis qu’il n’aurait pu obtenir sans avoir suivi les cours obligatoires sanctionnés par l’État. Oh oui, j’oubliais, pour fonder son entreprise et l’opérer, il aurait fallu qu’il détermine d’abord quelle structure juridique lui donner. Ensuite, il aurait fait une demande d’enregistrement d’entreprise auprès d’un fonctionnaire, qui aurait formulé une réponse, quelque 45 jours ouvrables après l’avoir analysé.
Alors, finalement, il peut fonder son entreprise ou pas? Non, pas encore. Il aurait demandé la permission de choisir son nom d’entreprise, et si, et seulement si, l’État avait accepté le tout, il aurait pu procéder à l’enregistrement et soumettre une demande de numéro de taxes… dans un autre ministère, d’un autre système dit fédéral.
Donc, après tout ça, il se serait rendu chez son premier client, multiples permis à son cou, pour se rendre compte qu’il aurait fait tout cela en vain… Car ma grand-mère, qui le supportait en 1946, serait obligée aujourd’hui en 2017 de travailler à l’extérieur pour contribuer aux besoins de base de ses 8 enfants. Oups. Retour à la case départ, allez directement en prison et ne réclamez pas 200 $.
Entre-temps, dans la réalité d’aujourd’hui, moi qui veux aider une jeunesse intimidée et des parents désespérés, je me fais fermer la porte au nez, par de multiples entités qui refusent tour à tour de me louer, sous prétexte d’un vide administratif avoué. J’entends, par cette montagne à surmonter, qu’un projet le moindrement coloré ne peut entrer dans un cadre noir et blanc rigide et prédéterminé. Malgré tout, je ne vais abdiquer, et sur le chemin de la réussite vous me retrouverez.
Vous pensez que c’est triste et compliqué? Essayez de partir un projet d’école primaire alternative, comme celui initié pour les Pays-d’en-Haut… vous m’en donnerez des nouvelles. Que ce projet porteur, rassembleur et nécessaire ne soit pas encore concrètement en chantier est une aberration, tristement représentative du carcan auquel nous nous sommes habitués. Améliorer directement la vie de centaines d’enfants n’est-il pas suffisant pour bouger rapidement?
Rassurez-vous, le mot abandonner ne s’est toujours pas rendu dans le dictionnaire des représentants de ce projet, ni dans le mien et, fort heureusement, ni dans celui de milliers d’autres qui persisteront dans cette quête d’innovation – engagés à quitter cette terre dans un meilleur état que nous l’avons reçue.
La réglementation qui était censée nous protéger est devenue notre geôlier, et tue les initiatives dans l’œuf. Malgré les obstacles et les non-sens, nous devons continuer de rêver et d’initier. Au nom du mieux-être absolu, par respect pour ceux qui ont défriché le passé, pour nous qui construisons le présent, et pour ceux qui animeront l’avenir.
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