Les enfants-zoo

Par Journal Accès

 
Mimi Legault – Une petite nouvelle est passée sous le radar dernièrement. Une maman de Repentigny sûrement bien intentionnée, je n’en doute pas une seconde et quart, a décidé de faire abolir les exposés oraux. Pourquoi? Parce que ce genre de travail devant les autres angoisse son enfant.
Cette décision m’a ramenée quelques années en arrière, un certain soir au resto. J’avais pris l’habitude d’aller manger une fois par mois avec mes amies Claudine et Marie (noms fictifs… non mais quand même, gardons-nous une petite gêne).
Cloclo, une célibataire endurcie, élevait à temps partiel son fils unique et, ma foi, elle s’en sortait fort bien, aidée du papa qui, de son côté, avait autant d’allure qu’elle côté éducatif. Marie était maman d’une belle ado, Caro, 17 ans. Personnellement, je n’étais pas d’accord avec la façon dont elle l’élevait, dans ce sens qu’elle n’en avait que pour sa Caro Dou Dou éduquée dans la ouate, dans un cocon bien scellé, dans une espèce de bunker maternel où l’air devenait caustique. Chacun sa façon, au fond.
Impossible d’attaquer le sujet. Marie demeurait fermée comme deux huîtres jumelles à propos de l’éducation. À un moment donné, elle devenait tellement froide qu’il y avait danger d’attraper un rhume en la côtoyant. Je m’étais même demandé s’il nous fallait un mot de passe pour communiquer.
Donc, côté éducation, le sujet était clos. C’était l’automne ce soir-là et toutes trois attablées, nous parlions de tout et de rien. Le martini aux canneberges autant que les savoureuses entrées étaient annonciateurs d’une belle soirée à venir. On riait, on avait du fun, on déconnait.
Soudain, comme un orage que personne n’aurait vu venir, Marie éclate en sanglots. Comme ça, bêtement. C’est à cause de Caro, réussit-elle à dire entre deux hoquets.
Surprise générale, puisque Caro Dou Dou a toujours été l’enfant sage, portée sur les nues par des parents gagas de leur fille-bien-tranquille. Trop à mon goût. Mais bon. « Alors quoi Caro? », demande avec empressement notre Cloclo nationale.
Marie prend son temps comme si elle regrettait déjà son trop-plein d’émotion. « Non, laisse-moi deviner, redit Claudine. Ta fille vous a quittés pour aller vivre avec son motard que tu détestes tant? » En plein dans le mille. Alors là, c’est le déluge. Marie braille comme une Madeleine.
Bien oui, Caro, sa bolée, son poussin, son amie, son unique, sa copie conforme, leur a annoncé qu’elle quittait le nid douillet pour aller vivre avec son amoureux David. Claudine est sidérée. Moi? Pas une miette. J’observe Marie, la garde baissée, je la sens honteuse comme si elle avait mal agi. Ce n’est pas ça. Sauf que Caro est devenue une enfant-zoo que l’on a gardée dans un enclos en tentant de lui enlever toutes les embûches qui se présentaient à elle.
Entre deux sanglots, elle nous parle de l’écoute qu’elle a toujours eue avec sa fille, des conseils prodigués, des fortes recommandations, des dialogues tard le soir dans sa chambre. Et voilà que pour tout remerciement, Caro la reniait d’un seul coup. Marie Humide se sent trahie. Même que sans l’aide parentale, Caro a tout planifié : travail à temps partiel, études au cégep.
« C’est fait, notre fille est déjà partie. Je ne dors plus, je n’ai plus faim. C’est la catastrophe », soupire-t-elle, le cœur dans l’eau. Soudain, j’aperçois le regard de Cloclo qui m’encourage à parler; elle devine ce que je vais lui dire. Alors, je prends mon verre de vin et mon courage à deux mains. Ça va faire mal, mais l’amitié, la vraie, demande parfois cette audace. Je tente de trouver les bons mots pour ne pas blesser, ils ne viennent pas. Tant pis, que je me dis, j’ouvre les écluses. « Je ne suis pas surprise du tout, parce que ta Caro Dou Dou est une enfant-zoo.
Depuis son premier souffle, elle a tout rôti dans la bouche. Toi et ton chum avez respiré pour elle. Vous lui avez lancé des cacahouètes dans son enclos toute sa courte vie. Vous avez pensé à sa place, vous l’avez engourdie, vous lui avez coupé ses ailes. C’est un petit animal dégriffé qui décide maintenant de se lever, d’ouvrir la porte de la clôture et de s’envoler en faisant battre ses bras et son cœur au même rythme. Et vous êtes fâchés, déçus? Vous devriez être fiers d’elle. Ne coupe surtout pas les liens; elle va revenir plus forte que jamais. »
Et vous, chers parents, éduquez-vous des enfants-zoo?

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