Licence to Kill
L’ancien Commissaire fédéral à la protection de la vie privée, George Radwanski, est ces jours-ci devant un tribunal pénal afin de répondre à des accusations de fraude et d’abus de confiance.
Écoutez: le Commissaire à la protection de la vie privée ! L’homme chargé de veiller sur les dérapages de l’État à l’endroit de nos vies privées, de nos «chambres à coucher»! En cette époque aux relents de Big Brother, il devrait être notre héros… Sa dégringolade n’est pas sans me rappeler celle de José Théodore… Ce qui est remarquable c’est que, plus que dans beaucoup d’autres récents dossiers, la population s’interroge (enfin!, soupireront certains) sur le rôle des médias dans ce type d’affaire. Parce que l’on touche à une idole, n’en déplaise aux puristes. Et l’on ne déboulonne pas une idole sans huile. Et les éclaboussures d’huile, ça salit. Rappelez-vous: dès le lendemain du jour où elle a éclaté, «l’affaire Théodore», le vénérable Conseil de presse a distribué des blâmes (vous savez, le genre de truc qui passe bien au-dessus de la tête des André Arthur de ce monde)… bref, un débat est né, du genre dont la presse a bien besoin pour remettre les pendules à l’heure sur son rôle. L’était-ce, d’associer Théo à sa famille et aux Hells? Il l’était déjà, associé, d’une part par la force des choses, d’autre part, par sa volonté propre… quant à moi, la presse a fait son travail.
Ce qui m’apparaît plus intéressant encore, c’est ce constat qu’une frange (une fange?) de la population se croit immunisée contre beaucoup de trucs. George Radwanski, José Théodore, Robert Gillet… c’est exactement le même pari: à un certain niveau, plus rien ne peut plus atteindre. On vole trop haut. Alors, on vole: la crédibilité des partisans d’un joueur de hockey à la gueule d’ange, l’innocence de jeunes filles sans doute pas si innocentes que ça dans le cas d’un célèbre animateur, les deniers publics, dans celui d’un commissaire à la vie privée. C’est la même chose, née du même sentiment d’inévitable impunité. De l’impunité due à un rang. Le problème avec Radwanski (comme, du reste, avec les deux autres), c’est l’incompatibilité entre le discours – le propos – et les actes: dans le cas de l’ancien Commissaire, l’on ne peut s’afficher comme un chantre de l’éthique et voler impunément ceux-là même que l’on est chargé de protéger (les contribuables); dans le cas de Théo, l’on ne peut à la fois se présenter comme un exemple pour la jeunesse, s’afficher comme porte-parole de restaurants familiaux, et frayer avec un milieu communément reconnu comme criminalisé (criminel même), frayer avec lui à répétition et malgré plusieurs avis, sans risquer quelque chose… d’ailleurs, pourquoi le faire, quand on a tout l’argent du monde? Le frisson, comme ces dames de la bourgeoisie s’enfonçant, il y a quelques siècles, la nuit venue, dans les bouges de leurs villes? Parce que c’est «à la mode»? Parce que ça fait «nouveau romantique», James Dean, rebel without a cause? Et quoi encore?! Je risque une explication: pour certains esprits, s’asseoir à la table d’un parrain n’a pas de prix, ça ne s’achète pas. C’est aussi une façon de signer sa réussite. Bref: c’est lamentable. Oui, le double discours… La pègre colombienne finance des écoles de quartier tout en égorgeant les femmes de ses «traîtres». Il y a des masques dont on choisit de s’orner qui sont plus lourds à porter que d’autres. En tombant, ils font un bruit sourd. Comme l’explosion d’une jeep, en plein quartier résidentiel, à Montréal. George Radwanski, José Théodore, Robert Gillet… c’est exactement le même pari: à un certain niveau, plus rien ne nous atteint, disais-je. Licence. On se croit affranchi. «Affranchi», comme dans le film de Martin Scorsese, Les Affranchis… vous savez, ce film culte sur la mafia…