L’orphelin
Chronique d’un X
par jean-claude tremblay
Quand j’étais petit, ce mot ne me disait rien et, pourtant, je le côtoyais au quotidien. D’entrée de jeu, je me souviens qu’il me manquait un grand-père, puisque mon père n’a jamais connu le sien… mais je ne savais pas pourquoi. « Tiens donc, mon papa n’a pas de papa?! » J’ignorais que mon père portait cet important statut, celui d’orphelin, un mot généralement réservé (à tort) aux gamins.
Puis, un jour, mon père s’est absenté quelque temps pour aller en Abitibi, comme il le faisait assez régulièrement. Mais cette fois, c’était différent : il se rendait pour dire un dernier au revoir à sa mère, Parmelia. À son retour, j’ai souvenir qu’une lourdeur avait envahi la petite maison blanche de la rue Saint-Paul. Je n’étais qu’un enfant qui, comme tous les autres de mon âge, ressentait un profond malaise face à l’inexpliqué : « Tiens donc, mon papa n’a non seulement plus de papa… il n’a même plus de maman, ouf! ».
Peu de temps après, j’ai connu le vide de perdre un parent. D’accord, j’étais seulement l’orphelin d’une garde inadéquatement partagée, mais rien ne m’avait préparé à éventuellement les perdre pour toujours… et pour de vrai. Pourtant, ce n’était pas les exemples qui manquaient dans mon enfance, et dans la vôtre non plus, d’ailleurs.
Avant que la planète entière ne fasse la connaissance du plus célèbre orphelin de l’ère moderne, Harry Potter, il y en a eu beaucoup qui ont tracé la voie, à commencer par mon idole d’enfance, l’orphelin de sa mère : le Petit Castor. Bon, je ne sais pas ce que les auteurs de ma génération avaient pour les orphelins, mais c’était une véritable obsession!
Vous trouvez que j’exagère? Laissez-moi vous rappeler Tom Sawyer, Belle et Sébastien, Rémi le sans famille, et Esteban qui espérait trouver son père dans Les Mystérieuses Cités d’or! Vous en voulez d’autres? OK. Cendrillon, Mowgli, Heidi, Candy, Fifi, et le fameux Zig Zag, celui qui cherchait ses parents… zan zan zan! Ce n’est pas croyable, même Albator avait perdu son père, et le Capitaine Flam, ses deux parents, – de quoi traumatiser n’importe quel enfant!
Ça, c’est pour les dessins animés qui m’ont bercé, mais je ne vous parle même pas des films comme Annie, avec sa méchante Miss Hannigan, la dirigeante de l’orphelinat – une chance que Punjab était là! Ah oui, et si vous pensez que l’obsession est chose du passé, détrompez-vous. Nemo a tragiquement perdu sa mère et, chez moi, les princesses orphelines Elsa et Anna jouent en boucle, sans compter Janeau Trudel, l’orphelin du film Pee-Wee 3D.
Le temps a passé, et l’innocence aussi. J’ai côtoyé ce mot avec des yeux et des oreilles d’adulte. J’ai alors entendu parler des Filles du Roi de notre Nouvelle-France, et des orphelins de Duplessis, une tragique tache à notre dossier de patrie. Puis, j’ai découvert le mot à travers la littérature, avec les frères Grimm et leur Hansel et Grettel, Arthur Rimbaud avec sa Bohême, et Victor Hugo avec ses Misérables. Toutes des histoires tragiques qui ont, sans le savoir, stigmatisé le mot et marqué à jamais l’imaginaire collectif.
Jules César et Napoléon ont perdu des parents à l’adolescence, même le contemporain Steve Jobs a été abandonné à sa naissance. Mais l’orphelin, ce qualificatif inévitable, perd de sa puissance dès l’âge adulte – comme si c’était moins triste, comme si ça faisait moins mal, comme si c’était plus facile à assumer lorsque l’on devenait majeur et vacciné. Le fait est que, psychologiquement parlant, les adultes sont dotés de plus grandes capacités pour faire face au fait orphelin, mais dans la réalité, ne sommes-nous pas que de vulnérables enfants, déguisés en grandes personnes?
J’ai entendu passablement de condoléances et de vœux de sympathie cette dernière semaine, ce qui m’a inspiré la rédaction de la présente chronique du Petit Poucet. La mort et son deuil sont des sujets avec lesquels je suis particulièrement à l’aise. En revanche, je crois que le concept d’orphelin, on ne l’apprivoise réellement (et paradoxalement) qu’à notre dernier souffle.
Remarquez, je le dis assez sereinement, mais le fait est que, lorsque l’on prend conscience de notre statut, un grand vide nous envahit.
Peu importe notre âge, on a le sentiment qu’il faut maintenant devenir grand, et c’est avec l’impression d’être un funambule amateur que l’on doit dorénavant avancer dans la vie, le cœur incertain, et des points de repère en moins.
Bye m’man.
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