Merci Madame
Par Rédaction
D’abord le contexte, suivez-moi.
Une résidence pour personnes âgées. Il fait froid, c’est humide. Il est presque 17 heures. Je me trouve dans l’entrée de la résidence.
Le sol est gelé, c’est glacé, on n’y voit pas grand-chose. Une voiture luxueuse vient s’immobiliser non loin de la porte. Une dame d’un âge avancé débarque lentement et avance péniblement à petits pas incertains. La conductrice la regarde aller tout en demeurant bien au chaud dans son auto.
Je m’avance pour lui ouvrir la porte lorsque ce qui semble être sa fille ou une proche de la famille (elle la tutoie…), descend sa vitre d’auto et lui crie : ça ne te tente pas d’apporter ton sac d’épicerie? L’octogénaire se retourne en souriant, revient avec autant de difficulté à se déplacer, ouvre la portière, reprend son sac et la remercie. L’auto démarre aussitôt sans attendre que la dame arrive vivante à bon port.
Je suis allée à sa rencontre. Comme si elle avait deviné mes pensées, elle m’a dit avec douceur : merci madame, tout va bien. J’étais triste comme un lendemain de veille. Ça m’a foutu les blues. Sommes-nous à ce point devenus des huissiers sans âme? Ou des robots format Costco? Le plat de la vieillesse est déjà assez lourd sur l’estomac sans ajouter dans la recette une pincée de sarcasme, une cuillerée d’indifférence et de fromâgisme pour gratiner.
L’autre jour, une dame me téléphone pour écrire sa biographie. Sa voix la trahit, d’après moi elle ne dépasse pas la trentaine. Je lui réponds qu’elle est un peu jeune pour ça. Pourtant, rétorque-t-elle, j’ai 83 ans bien sonnés. Bouche bée… Je propose une date pour nous rencontrer. Je travaille encore 40 heures par semaine, je n’ai que mes fins de semaine libres. Ben là… J’ose lui demander dans quel secteur. Opératrice de machine, m’avoue-t-elle. Voyez? 83 ans! Et pas question d’arrêter même si ses enfants la harcèlent de le faire.
Luella Tyra avait 92 ans en 1984 quand elle prit part à une compétition internationale dans cinq catégories en Californie. Loyd Lambert à 87 ans était un skieur émérite et s’occupait d’un club de ski pour le 70 et plus. Ce club comptait 3286 membres dont un allait allègrement vers ses 97 ans. À
80 ans, Maggie Kuhn était l’ardente défenseuse, la porte-parole des Seniors Panthères Grises. Il y en a comme ça qui refusent de vieillir et qui s’accrochent furieusement à la vie. D’ailleurs, dans le mot vieillir il y a ces trois premières lettres : vie…
Personnellement je fréquente deux personnes âgées dont l’une est atteinte d’Alzheimer et qui habitent désormais une unité prothétique. Je peux arriver à toute heure du jour, les préposées s’en occupent avec amour et grande patience.
J’ai justement demandé à l’une d’elles quel était le montant d’argent gagné à l’heure. Pathétique. Ces préposés (es) mériteraient le double du salaire qu’ils gagnent. Ma foi, ils sont des héros quotidiens. Je le réalise chaque fois que je visite ma belle Eva (nom fictif).
Les gens âgés ont besoin de bien peu de choses mais de ce peu là, ils en ont terriblement besoin. L’une des résidences où je me rends régulièrement, s’occupe de 132 personnes. Un jour, quelqu’un de la place m’a avoué que plus d’une dizaine de résidents ne recevaient jamais de visite. On les avait déposés là avec leur petite valise. Ça me rappelle cette phrase déjà citée : un jour, mon grand-père s’est penché vers son passé, il est tombé dans l’oubli…
La ministre Marguerite Blais vient d’annoncer un méga projet pour humaniser les lieux où vivent les gens âgés. Une bouffée d’air frais. La CAQ a compris qu’il fallait bien que vieillesse se passe.
Merci madame Blais.
2 commentaires
Malheureusement, des murs neufs n’apporteront rien aux salaires des préposé(e)s ni ne changeront la mentalité de la dame bien au chaud dans son auto. Une marée de veuves appauvries, d’aînés au bout de leurs économies ou affligés par les hausses de tarifs usuraires tout azimut s’annonce à l’horizon et toutes les anecdotes des nonagénaires d’aujourd’hui auront disparu avec la raréfaction de la main-d’oeuvre bénévole des boomers. Personne ne semble savoir que la clientèle vulnérable actuelle ne représente même pas 7% de l’ensemble des 55 ans et plus. Le vieillissement devrait occuper autant nos tribunes que la crise climatique. Une ministre pour 50 000 aînés plus vulnérables aujourd’hui me semble bien loin de couvrir les besoins de l’aînesse dans notre société déjà sans ressources suffisantes. Et la proche aidance est loin de n’être qu’une affaire de famille. Mais ce n’est pas sexy d’etre proactif dans ce domaine. On préfère traiter les scandales à la pièce.
Se définir comme population ou se laisser définir afin d’optimiser le succès politique ! Cette dimension humaine que représente la vieillesse est le succès des orientations politiques. Le mot vieillesse est un mot social, incontournable du dictionnaire politique qui tente de nous faire croire à la concertation publique. Un mot qui donne de la visibilité politique et qui a un effet viral sur la population, ainsi laissant croire aux transformations sociales, tout en ignorant les aidants. L’ignorance des vrais besoins risque de nous conduire à des orientations qui se situeront à des kilomètres des problèmes du vieillissement et de ses réalités.