Oxymorons sensés
Par bsimard
Les bogues de l’an 2000, l’immuabilité des choses qui bougent et autres oxymorons qui ont de l’allure… ou pas.
Parfois quand les choses vont trop vite, on a l’impression que rien n’avance.
Un ami me faisait remarquer que le 20 mai 2020 à 20h20 était un moment et une date unique, qui n’allaient plus jamais se reproduire. J’ai rapidement souligné que toutes les secondes étaient uniques, et que nous devrions chérir chacune d’elles, peu importe l’ordre dans l’univers de la numérologie judéo-chrétienne.
Oui, je sais : je suis ce genre de smatte qui reprend les gens avec des remarques «philoso-plattes» du genre. C’est plus fort que moi. Je crois que les nombreuses heures passées seul en selle, en manque de glycogène, pensant à plein de choses en rafale en sont probablement l’une des causes. À la base, nous devrions profiter pleinement du présent, pas seulement à la lecture d’une pensée Facebook, perdue dans l’univers virtuel sitôt consommé.
Une seconde, on file par les sentiers, pilotant son vélo avec la fluidité du chevreuil entre les arbres, l’instant d’après on est au sol en douleur, le panache ayant rencontré une tige feuillue bien enracinée… d’où l’importance d’avoir apprécié l’instant précédent, parce que le moment présent, là, il est moche. Profiter au maximum d’un présent agréable pour traverser promptement un présent moins le fun? C’est un peu le concept.
Ça nous ramène au 20 mai à 20h20, et à ce que l’on croyait «un moment unique». Vous vous souvenez du «bogue de l’an 2000» ? Cette fin du monde numérique, anticipée plusieurs mois à l’avance, créant angoisse, panique, pénurie de réveil matin à aiguilles et une ruée vers les génératrices. Le monde change, l’histoire se répète. J’ai expliqué ça à mon plus vieux, il n’avait pas l’air de capter l’ampleur de la situation pour l’époque. Tous réagissent différemment face à l’inconnu et avec le recul, on prendrait parfois des décisions différentes. En course d’ultra trail, il est une philosophie d’approcher un parcours, que l’on ne connaît pas, en se disant que si l’on ne voit pas le sommet d’une ascension, on est mieux de marcher que de courir.
On peut partir en peur, se mettre en pause, attaquer à l’aveugle, et quoi encore. La première fois que j’ai pris les devants dans une compétition, je dois avouer que je ne savais plus quoi faire. Tous les doutes et scénarios se pointent dans le cortex en même temps. Suis-je parti trop vite? Pourrais-je tenir le coup? Est ce que je suis dans le bon chemin? Est ce que ce sont les autres qui ne sont pas top? Même si j’étais entraîné pour vivre cet événement, à l’évidence, j’étais confus face à la suite. Il faut s’adapter, aujourd’hui, je gère.
J’ai donc fait un lien
Devant l’urgence, nous nous adaptons difficilement, car l’adaptation est un long processus, parlez-en à Darwin. Plus souvent qu’autrement, face à une nouvelle situation, nous modifions notre environnement pour l’adapter à nos besoins. C’est une force, assurément, et aussi une faiblesse, parfois. Dans le temps, on appelait ça une «T-line», sorte d’hommage à un futur médecin – aujourd’hui membre du temple de la renommée du vélo – qui avait l’habitude de patrouiller les parcours la veille des courses, pour déplacer quelques pierres ici et là, question de rendre le tout plus fluide pour la course du lendemain. On adaptait subtilement la piste pour conserver le momentum. Un effort facile. Aussi bête qu’il n’y paraisse, est ce que l’intelligence nous ferait niveler par le bas?
Et comme je zigzague à propos de déplacer des roches, les sentiers sont à nouveau ouverts. Après une petite canicule, une journée fraîche et un peu de pluie, nous serons prêts à se réapproprier le dehors, oubliant peut être pour un instant les bogues de ces années 2000, et les défis à venir. Mais avant de partir, n’oubliez pas de passer au ptit coin: les blocs sanitaires sont fermés jusqu’à nouvel ordre, ça pourrait ruiner le présent si l’envie vous prenait dans un endroit inopportun.
Le printemps achève, profitons-en : c’est un moment unique.
2 commentaires
Superbe texte Benito
Excellent texte qui porte à réfléchir et nous ramène à l’essentiel « Benstyle » . Merci d’avoir partagé ceci 🙂