Qui a construit le pont Shaw ? -Partie 3
Début juin, le pont Shaw a dû fermer temporairement pour une énième fois. J’ai donc voulu raconter l’histoire de ce pont, au centre de l’histoire de Prévost. En chemin, je suis tombé sur un mystère insoupçonné. Qui a construit le pont Shaw? Et quand?
Le mystère est résolu. Et pour cela, je dois un immense merci à un lecteur passionné d’histoire, Ferdinand Bélanger. M. Bélanger est un habitué des documents historiques et sait comment fouiller les méandres des archives, ayant écrit un répertoire des bureaux de poste du Québec. Selon lui, il est plus probable que le « bureau de poste d’été » construit à Prévost en 1823 (mentionné dans ma première chronique) était plutôt un poste de traite de fourrures.
Il a décidé de chercher lui aussi. En remontant l’histoire du pont Shaw, il a retrouvé son origine… légale! Le document, validé par l’Assemblée législative de la province du Canada, est intitulé : « Acte pour autoriser Augustin Norbert Morin à construire un Pont de Péage sur la Rivière du Nord, dans la Paroisse de Saint Jérôme, et pour fixer le taux des péages qui seront perçus pour passer sur le dit Pont, et établir des règlements à cet égard. »
Il date du 28 juillet 1847 et détaille toutes les modalités : où le pont peut être construit, qu’il doit permettre aux canots et radeaux de passer en-dessous, que certains sont exemptés du péage, comme la poste et les soldats, que Morin sera le seul à pouvoir opérer un pont à péage sur le territoire, etc.
Il y a même les taux de péage! Un demi-denier pour une personne à pied. Si vous passez à cheval, c’est deux deniers. Si vous êtes en voiture tirée par un cheval, c’est trois deniers, plus deux deniers par bête additionnelle. Il y a aussi des tarifs si vous passez avec du bétail.
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Pour voir l’acte qui autorise A.-N. Morin à construire son pont, cliquez ici
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Il est aussi mentionné que Morin a trois ans pour construire son pont. Et avant de l’ouvrir, il devra le faire certifier par des juges de paix, à la suite d’un examen par des experts, « […] et devra être publié dans les deux langues dans un des papiers-nouvelles de Montréal […] ».
J’ai retrouvé l’avis, dans La Minerve du 27 septembre 1849.
Ouvrir les Pays d’en Haut
Ce pont qui enjambe la rivière du Nord était crucial pour la colonisation des Cantons du Nord, comme on les appelait à l’époque. Tellement crucial que lorsqu’il faut le reconstruire, il est décidé en 1864 que Saint-Sauveur paiera la moitié des coûts et de l’entretien, alors que Sainte-Adèle et Sainte-Agathe paieront chacune un quart. Le gouvernement octroie même 800 $, à condition que le péage soit levé.
Le pont Shaw est alors le seul lien entre les jeunes villages du Nord et le reste du monde. C’est là que les colons, les marchandises et les communications traversent la rivière.
Mais bientôt, le P’tit Train du Nord chamboule les choses. Il arrive à Saint-Jérôme en 1876 et à Sainte-Agathe en 1892. Ainsi, en 1898, Sainte-Adèle et Sainte-Agathe n’ont plus besoin du pont Shaw et se désistent de leur engagement, laissant Shawbridge et Saint-Sauveur seuls à couvrir l’entretien.
L’année suivante, Saint-Sauveur remet donc le péage sur le pont et loue ce droit à Benjamin Beaulne, un cultivateur de la paroisse. Difficile de dire quand le péage s’est arrêté, mais en 1903 Jean Prévost, alors député de Terrebonne, commence à demander son abolition. Un autre M. Prévost la demande toujours en 1927.
La légende
Et William Shaw dans tout ça? Lorsqu’il achète le pont en 1863, il est indiqué dans l’acte de vente qu’il s’occupe déjà du pont depuis « le premier de janvier dernier ». Il est donc peu probable qu’il en ait été aussi responsable avant cette date. Par contre, je me demande pourquoi il achète le pont et les droits de péage si, l’année suivante, ce sont Saint-Sauveur, Sainte-Adèle, Sainte-Agathe et le gouvernement qui s’engagent à le reconstruire et que le péage est levé?
Quoiqu’il en soit, la légende est devenue que c’est Shaw qui a construit le pont à son arrivée dans le canton, en 1847. Même la Commission de toponymie du Québec l’affirme!
Mais leur erreur est excusable. Linda Rivest, d’Histoire et Archives Laurentides (HAL), m’a envoyé des éditions de L’Avenir du Nord de 1930 et 1931. Dans l’un d’eux, on peut lire : « Sait-on que le nom de Shawbridge rappelle le souvenir du premier colon de l’endroit, qui construisit en 1847, le premier pont de bois, sur la Rivière du Nord… » La légende a donc 90 ans, au moins.
Toutefois, je peux maintenant affirmer que c’est Augustin-Norbert Morin qui est autorisé à construire le pont en 1847, que celui-ci ouvre officiellement en 1849, et que Morin le vend à William Shaw en 1863.
L’héritage de Shaw
Il y a un dernier mystère qui m’intrigue : l’origine du nom Shawbridge. Le musée virtuel de Prévost affirme que la dénomination daterait de 1860, voire qu’elle aurait été d’usage dans les années 1850. C’est-à-dire avant l’achat du pont par Shaw.
Malheureusement, la plus vieille mention du nom que j’ai trouvée date de 1865, lorsque « Mary Ann Bell of Shawbridge » obtient son diplôme d’institutrice de la McGill Normal School.
Encore une fois, c’est M. Bélanger qui vient à ma rescousse. Il a trouvé une correspondance datée du 5 mars 1860 qui autorise la construction d’un bureau de poste. On peut y lire ceci (en anglais) :
« M. William Shaw sera nommé maître [des postes]. Le nom de Shawville suggéré pour désigner le bureau de poste est contestable, puisque le Département a cessé, quand il le peut, d’utiliser des noms pour les bureaux de poste qui se terminent en ville. Le directeur général des postes autorise dans ce cas-ci que le nouveau bureau de poste s’appellera Shawbridge. »