Reflet d’un monde abîmé
Par Frédérique David
Le plus étonnant dans « l’affaire Occupation Double », ce n’est pas qu’il y ait eu de l’intimidation, ni même que les producteurs aient monté et diffusé ces passages odieux, mais plutôt qu’il y ait eu des plaintes. Parce que, on va se le dire, l’agressivité et les insultes prolifèrent comme jamais sur les réseaux sociaux. Ce qui est arrivé entre les candidats d’OD n’est donc que le reflet d’une société qui a perdu ses règles de respect et de savoir-vivre.
Difficile de savoir quand et où tout cela a commencé, mais jamais nous n’avons vu autant de propos haineux proliférer, jusque dans les hautes sphères de la société. La pandémie n’a rien arrangé. Les règles sanitaires ont alimenté une colère déjà présente dont certains journalistes peu scrupuleux et certains politiciens se sont servis pour diffuser des propos racistes, sexistes et homophobes, tout en encourageant un anti-journalisme ordinaire. Quand le président d’un pays se permet des propos irrespectueux, vulgaires et choquants envers les femmes, les pensées ordinaires du quidam lambda risquent malheureusement de s’en inspirer.
Des messages toxiques
La montée d’une droite populiste dans de nombreux pays s’est accompagnée de l’émergence de médias populaires qui servent d’organes de propagande politiques et idéologiques. Au Québec, Éric Duhaime a échauffé quotidiennement les esprits à la barre de Radio X pour être propulsé à la tête du Parti conservateur du Québec. En France, Éric Zemmour animait une émission de débats très controversée sur CNews avant de se lancer en politique. Vincent Bolloré, le principal actionnaire de CNews et de C8, a une vision de la France traditionnelle, conservatrice et chrétienne.
Fox News, aux États-Unis, a servi de modèle à ces médias qui diffusent allégrement des déclarations populistes à saveur extrémistes. La pandémie a été une manne pour ces médias qui ont pu attirer tous les réfractaires aux interventions de l’État. Les animateurs cultivent l’insécurité, la peur de l’étranger, la méfiance envers l’État et les médias traditionnels. Leurs cibles privilégiées sont les services publics, les plus démunis, les féministes et les immigrants, selon la professeure de communication de l’Université Laval Dominique Payette, auteure de l’essai Les brutes et la punaise : Les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures. Avec un contenu agressif, souvent discriminatoire et diffamatoire envers certains groupes sociaux ou certaines personnes associées à ces groupes, ils alimentent une colère et exercent une influence négative sur le climat social qui trouvent des tentacules sur les réseaux sociaux.
Des comportements violents
Qu’ils viennent d’animateurs de « radios-poubelles » ou de politiciens issus de la droite populiste, voire de l’extrême-droite, les messages toxiques sont susceptibles de susciter des comportements violents. Stéphane Gendron, ex-animateur sulfureux, y va de son mea culpa ces jours-ci avec la publication du livre Un homme en colère où il dénonce le penchant des médias québécois pour le trash. Au nom d’une idéologie ou de cotes d’écoute, les Jeff Fillion de ce monde s’autorisent des excès verbaux, voire des injures, qui favorisent une haine et une violence déplorables.
Les réseaux sociaux sont devenus le fief de cette haine ordinaire. L’excellent documentaire de Léa Clermont-Dion, Je vous salue salope, témoigne de cette cyberviolence envers les femmes plus virulente que jamais. Et même dans le monde réel, l’agressivité s’est répandue comme une trainée de poudre.
Des cliniques médicales affichent désormais des messages pour prévenir que la violence ne sera pas acceptée. Récemment, une caissière me racontait avoir reçu un poulet à la figure!
En somme, « l’affaire OD » n’est que le reflet d’un monde abîmé, qui ne sait plus se parler, qui ne sait plus se respecter, et dont la colère alimentée par des personnalités publiques sans scrupule constitue un vrai risque pour le vivre-ensemble et la démocratie.