Regarder tomber les villes

Par Éric-Olivier Dallard

Le magazine mensuel Le 30, édité par la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec), m’a demandé de lui accorder une entrevue la semaine dernière au sujet du travail d’Accès dans plusieurs dossiers estivaux que nous avons livrés et qui ont eu des échos dans la presse nationale. J’y dis en substance ceci: «La liberté de l’information est garante de la démocratie mais, pour le journalisme vécu en région, assurer le pérennité de ce principe peut sembler parfois difficile à assumer, entre les connivences et les conventions. Je crois que les événements des derniers mois, leur mise en lumière par un média local, la résonance qu’ils ont pris et les dénouements qu’ils ont connus peuvent contribuer à maintenir et à encourager la confiance des citoyens à l’endroit des administrations publiques municipales.»
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Décidément, ça va devenir une nouvelle mode que d’apostropher publiquement Accès lors de conférences de presse dont nous sommes absents! Après l’ex-maire Cardinal il y a peu de temps (en fait la semaine précédent sa démission), ce fut au tour, ce lundi, d’une autre figure politique importante des Pays-d’en-Haut de s’emporter sur notre travail, cette fois-ci concernant le dossier que nous avons présenté la semaine dernière sur les algues bleues, dans le cadre de la journée qui se tenait au Chantecler, un dossier confié à Nathalie Deraspe, elle qui reste l’une des journalistes les plus assidues à ce sujet et ce, depuis plus d’un an. La semaine dernière, quel fut notre tort? Nous n’avons pas bêtement encensé ce qui est ressorti de la journée consacrée aux algues bleues? Nous avons posé des questions dérangeantes? Nous avons suggéré des angles d’approche du problème qu’il fallait taire?

Nous croyons nos lecteurs sufisamment allumés pour aller plus loin que la nouvelle, en dégager d’autres aspects, lui donner une trajectoire qui, ultimement, est porteuse de plus d’espoir encore: dans le cas qui nous occupe, au-delà de l’investissement de 200M$ (!) pour lutter contre le phénomène des algues bleues, souligner le travail de chercheurs qui planchent sans relâche, en dehors des circuits conventionnels, loin des feux de la rampe, des reconnaissances et des subventions, nous est apparu comme diablement interpellant. Notre esprit critique nous amène à ne considérer que le côté «sombre» de certaines nouvelles? Au contraire, il met en lumière leur lumière. N’est-ce pas là véritablement notre travail, «faire la lumière»?
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«Censure» – «Baîllon» – «Contrôle de l’information» – «Boycott des journalistes»

Ce sont ces mots qu’il aurait fallu lire dans ce communiqué fade et bien propret, émis par la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec), section Laurentides, cette semaine, en réaction à des procédés datant de l’âge de pierre exercer à l’encontre de médias laurentiens. Au lieu de cela? «La FPJQ Laurentides déplore que des journalistes aient été empêchés de prendre des photos lors d’une récente séance du conseil municipal de Sainte-Adèle.» La Fédération déplore?!… Ah oui!, un peu plus loin, elle «s’inquiète» aussi… Et puis, enfin, elle «demande» aux élus d’être plus transparents dans leur relations avec les médias, faisant référence à l’exclusion d’Accès d’une conférence de presse du maire Cardinal, survenue une semaine avant sa démission.

Hey!, nous pratiquons le journalisme en région, là où il est plus difficile que partout ailleurs de faire notre travail.

Quand des administrations y entravent la liberté de presse, il faut répondre avec toute la force des mots, tout le poids qu’ils peuvent suggérer. Sans concession.

Regarde les villes tomber

En quelques semaines, trois municipalités, Outremont, Saint-Constant, Sainte-Adèle… Trois municipalités dans le désordre, dont certains élus ont cultivé l’art du secret, des prérogatives, des coutumes incestueuses. Et l’art de filtrer l’information…

Comme ce personnage du dernier David Lynch, Inland Empire, de plus en plus en retrait de l’action à mesure que le film avance, mais qui a longtemps tiré les ficelles, marionnettiste oublié que l’on devine ancien habitué des jeux de coulisses, relégué de plus en plus à la seule obscurité de celles-ci. L’on comprend rapidement que son pouvoir sur son milieu reposait sur l’information qu’il avait de ce milieu, celle qu’il possèdait, qu’il bradait, anecdotes pesées et emballées. Contrôlées.

Sur le déclin, ce personnage demande à deux vedettes montantes d’Hollywood: «Vous n’auriez pas deux dollars à me prêter, j’ai ce maudit propriétaire sur le dos? Oui, je sais, je suis gonflé. Il me semble qu’hier encore, je tenais debout tout seul.»

En quelques semaines, trois municipalités, les ficelles, l’information… S’approprier un truc (l’information), des trucs (devinez lesquels) qui appartiennent au public.
«Il me semble qu’hier encore, je tenais debout tout seul.»

Debout tout seul. Oui, par quel miracle? Appuyé sur quels silences?

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