Rentrée inachevée

Par Jean-Claude Tremblay

C’est une magnifique journée! Les oiseaux gazouillent, les enfants dansent, les parents sont émus, les chauffeurs sont fébriles, tout le personnel entame des chants et de gais refrains – c’est une scène idyllique, celle anticipée pour cette rentrée, une empreinte d’alacrité et de légèreté.

Trêve de visualisation, sur les lieux enfin arrivés! Oups!… Force est de constater que cette action de rendre visible, cette fois, n’a pas fonctionné. Sur place, des parents et un personnel secoués et désenchantés: c’est le bruit d’une aiguille, traversant à contre-courant le disque de vinyle qu’elle est en train de rayer, qui accueille froidement les invités.

Coup de théâtre, nous ne sommes pas chez Esteban et ses Mystérieuses Citées d’Or, en train d’appeler le chaud soleil, mais plutôt sur un chantier, celui de Bob Le Bricoleur, qui nous accueille à grands coups de marteaux dans ses modules improvisés et, surtout, inachevés.

Des camionnettes de construction un peu partout stationnées, un gros camion cube qui entre et sort d’une cour de récré remplie de parents obnubilés, d’éducateurs jouant aux brigadiers et, surtout, pleine de vulnérables enfants insouciants de l’absurdité de la scène qui semble plus relever de la fiction que de la réalité.   

Les chaleureux « bienvenus les poussinots et les poussinettes » côtoient les « Heille Bob! Amène-moi donc un stud pis une boîte de clous de finition d’un pouce et quart! ». C’est une scène épique, du jamais vu, un vrai vaudeville. À la veille des élections, je n’ai pas envie de blâmer, mais j’ai vraiment le goût de questionner. Questionner ces hommes et ces femmes pour savoir ce que ces serviteurs de l’État ont dans le ventre, dans la tête et, surtout, dans le cœur. J’ai envie de les interpeller et de leur demander: « Trouvez-vous ça normal, vous, que les écoliers à leur première journée partagent leur cour d’école avec des véhicules et des ouvriers ? »

Je ne veux pas de coupables, mais plutôt des responsables – quelqu’un qui va se lever parmi la foule, et oser, oser dire « c’est moi qui ai merdé, et j’en prends l’entière responsabilité ». Imaginez le message que ça pourrait envoyer, l’exemple que ça pourrait donner, les nobles valeurs que ça pourrait véhiculer. Entre courage et responsabilité, faute avouée est à moitié pardonnée, même s’il est incompréhensible que les modules nécessaires pour accueillir le surplus d’élèves au primaire ne soient pas terminés dans les délais prescris – les autorités connaissaient les besoins depuis l’an dernier, je tiens à vous le rappeler.

Coup de chapeau aux surveillants et professeurs, pour leur stage de signaleurs routiers, mais c’est dans leurs fonctions d’animateurs et de précieux éducateurs que l’on veut les voir. Démontrer de la reconnaissance pour leur précieux métier, c’est leur permettre d’effectuer leur boulot dans des conditions optimales, tâche à laquelle, du moins cette journée, quelqu’un a lamentablement échoué. Merci d’avoir gardé le sourire et d’avoir réussi à mettre l’accent sur le plus important: l’enfant, au lieu du bruit des feuilles de 4 X 8 larguées au sol et des madriers. Chapeau aussi aux ouvriers, qui ne suivent que les ordres et ne sont nullement à blâmer – merci d’avoir été tout de même prudents dans tout ce bordel, invraisemblablement public, financé et désorganisé.

Voulez-vous savoir pourquoi le monde est désabusé et ne croit plus en l’État providence et en sa capacité? Parce que presque partout où l’on se retourne, il y a des absurdités. Ne me balancez pas des explications à la figure, car ça, je sais que facilement vous en trouverez. Prenez acte, agissez et arrangez-vous pour apprendre de vos erreurs afin de ne jamais recommencer. Pensez à nos enseignants qui pendant encore de longues semaines n’auront pas de local attitré, et aux enfants qui devront une fois de plus s’adapter, à cause d’une erreur qui aurait dû être évitée.

Au moment où la manne en osier des responsables passera dans les allées, j’espère que ceux concernés ne vont pas regarder la mosaïque du plancher, agenouillés sur leur prie-Dieu, occupés à louanger le saint «C’pasmoi » et ses affiliés. Au contraire, je souhaite qu’ils se lèvent bien droit, face au saint « J’avoue », en évoquant la clémence des fidèles, assoiffés d’authenticité.

Prenez garde, chers responsables, vous êtes en train d’amasser sous vos pieds le bois sec qui rappelle (métaphoriquement) le dangereux bûcher, au-dessus duquel vous tenez une allumette enflammée. Au final, l’Homme est capable de s’élever, bien au-delà de ce potentiel brasier et au-dessus de toutes ses vanités: faites comme nos ancêtres et soyez donc des pionniers, des défricheurs de mensonges et des semeurs de vérité – la communauté mérite transparence et véracité.

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