Vous savez? Vraiment?

Par Éric-Olivier Dallard

Un ange passe…

Vous savez comment ça se passe? Vraiment? Pas comme le rapportent les journaux. Comment ça se passe? Vraiment?

Le nouveau petit ami de la «maman» qui travaille – ou bien est sortie s’acheter des fringues, ou bien fait une virée estivale avec ses copines, ou bien… «au fait, on sait jamais c’qu’elle fout celle-là», maugrée-il toujours… – garde la petite fille un après-midi.

Le nouveau petit ami, ce peut-être aussi le père, le frère, le cousin, l’oncle, une vague connaissance…

La petite fille, elle, c’est toujours la petite fille.

Il fait chaud, beaucoup trop. L’habitation n’est pas climatisée. Allez!, une bière. Une autre. Puis encore. Beaucoup trop chaud. Une autre. Beaucoup trop.

La gamine, elle, elle n’a pas trop chaud. Elle tourne et caracole dans le salon, autour du sofa sur lequel est affaissé le gardien, qui – pourquoi pas? –, sa neuvième canette à la main insère le dvd d’un porno dans le lecteur de l’ACL 32 pouces.
À la onzième canette, la moiteur devient encore plus insupportable. Y’a plus seulement la petite qui tourne. Y’a aussi les images qui dansent, l’esprit qui tangue.

Les gros plans chirurgicaux qui défilent. Seins. Sexes. Culs. Jambes. Talons aiguilles.

Les canettes qu’il enfile.

La petite qui tourne, la petite qui danse.

Images. Écran. Image. Salon. Petite.

Images. Écran. Image. Salon. Pute.
«Allez, viens ici toi!» Il a les mains moites, le dos en sueur. Elle est tellement fraîche. Et la maman tellement… Surtout, il pue. De la bouche, du corps, de l’âme. Il a la bouche molle, comme le cœur. Ivre d’alcool. Ivre d’images. Ivre de cris et de gémissements.

Et puis il pèse plus lourd qu’un sac d’école. Aussi lourd «qu’un cheval mort». Elle étouffe sous sa langue, sous son corps. C’est un ballet hideux, désarticulé. Morbide.

Et l’on est même pas en enfer; là-bas, il y fait moins chaud, c’est sûr.

L’on est simplement un après-midi (ou était-ce une nuit?), dans le salon d’un quartier quelconque, au cœur d’une histoire trop banale. Il y avait, à la télé, un drôle de film pas si drôle que ça.

Il y avait, dans le salon, une immonde éponge.

Il y avait aussi, dans le salon, un ange.

Vous savez comment ça se passe. C’est comme cela.
À la fin de cet après-midi-là, elle ne danse plus.
À la fin de cet après-midi-là, cherchez la petite fille.
•••

L’été dernier, dans une chronique (Job d’été) qui m’avait valu, de Claude Jasmin, des mots que je n’oublierai jamais, je vous racontais ces semaines passées à Ottawa, Montréal et Toronto, que je n’oublierai jamais non plus, à suivre des sans-abri dans le cadre d’un contrat photo pour le compte du Secrétariat aux sans-abri du gouvernement fédéral.

La semaine dernière, un reportage-choc du Journal de Montréal sur l’itinérance féminine à Montréal va dans le sens exact de ce que j’avais entrevu et qui devrait hanter nos consciences.

Elles seraient 6 000 dans la métropole.

La plupart d’entre elles, c’est l’ange de l’histoire.

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