Histoire de peur!
Par Josée Pilotte
Elle semblait égarée au milieu des fées, des sorcières des démons en ce 31 octobre 2007. Elle était là, droite, presque raide au «Gaz-Bar blues» de Morin Heights, sous un éclairage jaunâtre, endimanchée, arborant son plus beau manteau. Sa chevelure massive aux reflets argentés ne frémissait pas malgré le vent noir. Une apparition surréelle. Elle, figée dans le temps, dans un autre temps; dans l’espace, un autre espace. Elle était là, le regard hagard, cherchant désespérément une âme bienveillante à interpeller. Ses yeux larmoyants, teintés de gris et usés par les saisons, imploraient Dieu de la sortir de ce tourbillon «halloweeniesque». Pourtant, personne ne semblait la voir, tous trop occupés à courir les friandises. Elle semblait avoir été déposée là, tout bonnement, par une main malhabile dans un mauvais décor. Un personnage d’Agatha Cristie qui soudainement se retrouve à Loft Story. J’étais là, par hasard, on n’aurait pas dû se rencontrer…
– Juste un petit détour de quelques minutes Antoine, je dois aller au guichet automatique, oui là, oui ce soir, oui maintenant. Non, je n’irai pas te reconduire à la maison avant, Antoine.
… je vous dis que ça négocie un ado qui a faim!
J’étais là par hasard. En sortant de ma voiture son regard croisa le mien. Intriguée, je me suis dérigée vers elle, la dame aux cheveux argentés. J’ai marché vers ce regard blanc. Elle m’a jeté, d’une voix anxieuse, presque suppliante: «Je suis perdue, Mademoiselle, ça fait maintenant trois heures que je suis partie de la maison, j’étais allée faire mon épicerie chez Loblaws mais, depuis, tout le monde me lance des indications contradictoires, je tourne en rond, je n’arrive plus à trouver mon chemin…»
Me voulant rassurant,e je lui demande si elle se porte bien et où elle habite…
«… Saint-Sauveur.»
Je lui indique alors patiemment, à plusieurs reprises, la route à suivre, le nombre de lumières qu’elle devra rencontrer; elle semble ne pas entendre. Cherchant vite une solution, je me dirige vers une voiture pour demander si par bonheur l’on n’irait pas dans sa direction, mais je suis reçue comme une terroriste, à travers une vitre d’auto à peine entr’ouverte. Merci. Plus sécurisant, je m’élance vers un policier: «Bonsoir monsieur l’agent, y’a une dame de l’autre côté de la rue qui est perdue, pouvez-vous l’aider, aller la reconduire?» Auprès d’elle, il lui pose des questions comme on en pose à un enfant: «Quel jour sommes-nous? Quel âge avez-vous? C’est le soir ou bien le jour? Il est plutôt 14h ou 20h?…» Elle répond avec une pointe de suffisance et d’insouciance, plus préoccupée de son épicerie qui dégèle dans le coffre de sa voiture. C’est là, un peu exaspérée par «l’interrogatoire» du policier, que j’insiste, et cette fois-ci fermement, pour la reconduire chez elle.
Elle, dans sa voiture. Moi, dans la mienne. Elle, derrière. Moi, devant…
– Où t’étais m’man? C’était ben long.
– On retourne à Saint-Sauveur reconduire une vieille dame perdue…
– Han… perdue?! Franchement, full poche!!!
Non, je n’irai pas te reconduire à la maison avant, Antoine…
– Écoute, si c’était moi qui étais à la place de cette dame, perdue sous l’éclairage froid d’une station-service, entre un clown et Shrek… aimerais-tu ça qu’on m’abandonne là, comme un vieux chat de ruelle…? Sur la 364, trente kilomètres/ heure, les gens civilisés qui nous doublent par la droite, les quatre clignotants d’urgence allumés, Antoine qui surveille derrière si la rescapée suit bien… «Pas vite, mais elle suit, M’man!» Tout va à merveille… sauf peut-être pour la filée de voitures qui ne cesse de s’allonger dans mon rétroviseur. Arrivée à destination, je m’empresse d’aller la rejoindre, lui offrant mon aide pour ses paquets: «Vous devez être fatiguée avec toute cette aventure, non?»
– Chu pas fatiguée, chu tannée… pis j’suis bien capable de me débrouiller avec mes sacs d’épicerie…
– Mon fils est dans la voiture, il peut vous aider…
– Non, non, s’impatiente-t-elle, brandissant plutôt 10$ à deux pouces de mon nez.
– Non, non, refusai-je…
– Oui, oui, insiste-t-elle…
– Allez, bonne nuit d’Halloween, Madame!
Un détour qui conduit à une leçon de vie.
Un hasard qui n’existe pas.
«Bon, là c’est vrai mon fils, on s’en va à la maison…»