Mon(t) imaginaire: une histoire de hauteur!
Par Josée Pilotte
«Ben oui! Toi, on sait bien: t’es avantagée avec tes trois plateaux!»
Il m’a dit ça d’une traite, en essayant de camoufler son essoufflement, une fois arrivé au sommet de la côte de Sainte-Anne-des-Lacs (c’était peut-être une autre… c’tu vraiment important?… en tous cas, c’était raide en #%$*&!)
Trois plateaux??? Mais de k’ssé qui parle le Chéri, à moi qui suis fraîche comme une rose au sommet de mon imaginaire?…
Voyez-vous, c’est que j’me trouve bonne…
Voyez-vous, c’est qu’il est compétitif le Chéri!
Ok!, j’admets que je ne donne pas ma place comme «fighteuse»; je suis là quand il s’agit de compétitionner, Isabelle mon amie pourrait en témoigner. Je “me sue” le corps deux fois par semaine avec elle en entraînement privé, pis on lui fait vivre le calvaire, à notre entraîneur Jonathan, notre super héros, qui s’arrache les cheveux à nous regarder aller, et sue lui aussi rien qu’à nous garder sur le droit chemin, celui de la santé et du sport!
Facile pour lui, avec ses 23 ans sculptés dans l’acier, et sa discipline de fer!
Bref, tout ça pour dire que le tout aussi compétitif Chéri, avec ses 38 ans scuptés à la perfection, se fout complètement de ma gueule avec les trois plateaux de mon vélo… tout ça pour dire aussi que je n’ai pas intérêt à montrer de signes de faiblesse dans les montées, réelles ou imaginaires.
Le Chéri.
La compétition.
Mais.
Sur mon vélo, tout ça est un peu loin, dépassé par quelque chose de plus grand, quelque chose comme un sentiment de liberté, de plénitude et de vide; la réelle sensation d’exister, de faire partie d’un tout, d’être en contact avec les éléments, de participer.
Rouler… rouler à en perde la tête à en perdre le souffle à en perdre le nord… à en trouver Le Nord, un Nord que ce sport me permet de (re)découvrir sous un éclairage différent, celui d’une douce lumière naturelle.
Lacs, forêts, maisons défilent joliment sous l’œil ennuyé par la surveillance obligée d’une route salement entretenue et de quelques automobilistes irrespectueux de nous, les cyclistes… On en oublierait presque d’admirer notre beau patrimoine laurentien.
Parlant patrimoine, j’me pose certaines questions… Dites-moi: qu’est-ce que ça fait au juste un CCU dans la vie? J’veux dire, à part dire au propriétaire de la maison Thibodeau de combien de pieds sa propriété peut être soulevée?
En fait, un CCU est formé de gens comme vous et moi, mais eux, ils font des recommandations sur des projets présentés à leur municipalité: des enseigne, à la couleur des toitures, en passant par… la hauteur d’une maison.
Ce sont eux qui décident de ce qui sera de bon ton dans le paysage municipal.
Jusque là, je dis «Chapeau!» à ses citoyens qui s’impliquent pour préserver l’authenticité de nos villages. Mais là où je m’interroge, c’est quand ces gens, des gens comme vous et moi, se penchent sur un bâtiment à «valeur patrimoniale» comme la maison Thibodeau…
J’me dis que cette maison, abandonnée depuis des lustres, a bien de la chance d’avoir trouvé la jeunesse et la fougue d’un gars comme Philippe Juneau; j’me dis que l’on devrait faire beaucoup pour l’aider; j’me dis que mettre en péril son projet pour une histoire de 2 pieds et 6 pouces, c’est franchement dommage!
J’y suis allé, voir. J’y suis retourné, voir. Pis j’vois pas…
Sérieusement ça va-tu vraiment changer quelque chose dans le paysage piedmontais, la hauteur de la maison? Non.
Ça va-tu vraiment changer quelque chose si la maison Thibodeau continue de tomber en ruine? Oui!
Ouain, en tout cas moi j’regarde ça aller cette semaine: monte-descend-recule-avance-re-monte-re-recule-re-descend-re-re-re… Monsieur Thibodeau doit se re-tourner dans sa tombe, le pauvre homme!, à voir ainsi sa maison en perpétuel mouvement, son avenir en suspension.
En bas ou haut de la rue Principale?
Pis quelle rue Principale? La nouvelle? L’ancienne?
Euh…
«Attendez que je me souvienne…»
En attendant, je continue de pédaler, avantagée par mes trois plateaux, Chéri dans mon dos, moi, fraîche comme une rose, loin.
Au sommet de mon imaginaire.