Indifférence
Par Mimi Legault
Nous étions à quelques jours de Noël. L’histoire se passe dans un supermarché de la région. Je venais de payer à la caisse et au moment de sortir, un vieil homme entre dans le magasin en criant : « j’ai perdu mes clés, j’ai perdu mes clés, je ne peux pas partir sans mon auto! » Il marchait péniblement. Comme un ara, il répétait inlassablement la même chose : « j’ai perdu mes clés. Quelqu’un les aurait-il trouvées? »
Et ce qui s’est passé par la suite m’a complètement sidérée. C’était comme dans un film au ralenti; les gens passaient devant lui, le croisaient, faisaient non de la tête sans s’arrêter devant ce bonhomme complètement paniqué. Personne n’est venu à son secours. Per-son-ne! N’est-ce pas ahurissant? En l’espace de quelques secondes, une bonne vingtaine d’individus sont passés à côté d’un vieillard qui appelait à l’aide. Au moment où je garais mon charriot pour lui prêter main forte, un employé du magasin s’est finalement offert pour chercher son trousseau avec lui parmi les allées.
Vous me direz que le fait de perdre ses clés n’est pas une raison pour s’étendre sur le Métropolitain. J’en conviens. N’empêche. Pauvre vieux! Il a dû vivre en quelques secondes plusieurs minutes d’angoisse… Aussi affolé qu’un kangourou qui se trouve dans un endroit rempli de « pickpockets ».
On est rendu là : des sourires congelés, des nids-de-poule au cœur, des cerveaux engourdis. C’est Martin Luther King qui a dit : « ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants, mais l’indifférence des bons ». La colère peut tuer, l’indifférence aussi.
C’est comme l’autre jour dans un petit resto, genre casse-croûte, j’ai observé plusieurs personnes (c’est le nombre qui m’a fait peur), arriver à deux, des travailleurs surtout. S’asseoir face à face, l’un des deux sortir son si précieux cellulaire et garder les yeux sur son écran pendant que son collègue regardait ailleurs. Dans certains cas, cela a duré quinze bonnes minutes. You hou : il y a quelqu’un de vivant devant vous!
On est tous ÉGO! Je-me-moi-tout tout de suite- pas mon problème-veux rien savoir s’tie- mon plus proche parent, c’est moé. Un peu comme si notre philosophie se résumait à : aide ton prochain quand il est dans la merde; il se souviendra de toi dès qu’il le sera à nouveau. Cette sécheresse du cœur est un virus aussi pire et aussi contagieux que la COVID. C’est une infirmité de l’âme. La science a peut-être trouvé un remède pour bien des maladies, mais pour l’apathie de l’humain 2024, pas beaucoup de recherches. L’écran a remplacé la sympathie humaine, il a robotisé le bipède qui se promène désormais autour de son nombril. Le règne du neurone mou! Ce qui le satisfait entièrement. Chacun se croit irremplaçable et voit chez les autres comme une forme devenue indistincte. Un brouillard épais masque son voisin; regardez-le déambuler dans la rue, le cou penché, le dos voûté en train de communiquer avec cette petite chose carrée que l’on appelle son dieu téléphone : il a perdu ses racines, un arbre planté la tête en bas…
Un philosophe a déjà donné ce conseil : ne partagez pas vos soucis avec des êtres indifférents. C’est à vous que vous ferez mal. Une amie m’a répondu en écoutant mon fait vécu que l’individu d’aujourd’hui n’agissait que s’il éprouvait un besoin. Sinon sa vie se passe au-dessus de tout en enjambant les problèmes de l’autre qui lui importent très peu. Je repense à ce vieil homme et à ses clés perdues qui a lancé un gros SOS devant des bras croisés, des oursins, des porcs-épis, des cactus. Ma question est de savoir pourquoi autant d’êtres sont-ils passés devant lui en feignant de ne pas le voir ni de l’entendre? Un, deux, je pourrais comprendre…
Pour ce début d’année 2024, je nous souhaite un peu plus d’empathie, qui est l’art de comprendre l’émotion de l’autre et de se mettre à sa place. C’est plus important que l’intelligence même. Ça se nomme aussi la maturité de l’être humain. On essaie?