La mobilisation des mères
Par Frédérique David
Il y avait du beau, du grand, de l’espoir dans cette marche des mères, dimanche, à Québec. Il y avait de l’urgence dans cette mobilisation pour l’environnement. Il y avait aussi de la colère dans ces cris du corps devant l’Assemblée nationale, le jour de la Fête des mères, parce que « l’heure est trop grave pour aller bruncher », disaient-elles.
Des mères qui prennent le temps d’aller réclamer des actions concrètes pour assurer un avenir à leurs enfants, ça ne peut laisser indifférent. Des femmes qui, malgré un emploi du temps aussi rempli que celui d’un ministre, prennent leurs enfants dans les bras et viennent lui dire, à lui justement, que c’est assez, elles devraient être écoutées.
En 1995, la marche « Du pain et des roses » a marqué l’histoire du Québec. Aujourd’hui, « Du pain et des forêts »réussira-t-elle à mobiliser les élus? Seront-ils à l’écoute de ces mères inquiètes pour l’avenir de leurs enfants? Seront-ils à l’écoute des scientifiques qui ne cessent de clamer l’urgence d’agir pour que toutes ces mères n’aient plus à se mobiliser pour leurs enfants, pour qu’elles n’aient plus à avoir peur qu’un jour ces enfants leur reprochent de n’avoir rien fait? « J’ai de la misère à regarder mes kids dans les yeux, disait récemment l’autrice et cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette en entrevue à Radio-Canada. J’ai peur d’avoir honte, dans quelques années, quand tout ce que j’aurai été capable de faire face à l’urgence actuelle c’est de continuer à faire mon métier, même si je l’aime ce métier. »
La formidable Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre, écosociologue, environnementaliste, chroniqueuse, écrivaine et maman était de cette marche, bien sûr, puisqu’elle demande, depuis des années, aux gouvernements successifs de cesser d’être dans le déni et de sortir de cette vision de croissance économique immédiate. « On demande au gouvernement qu’à partir de maintenant toutes ses décisions passent au crible leurs impacts sur l’environnement », a-t-elle expliqué. Elle en a contre le projet Bay du Nord, l’augmentation de la norme sur le nickel dans l’air, un troisième lien qui augmenterait l’étalement urbain et les minières qui transforment des lacs en poubelles. Elle en a contre le déni des élus face aux données alarmantes des scientifiques, face à la menace existentielle, parce qu’il n’y aura pas de futur viable pour nos enfants si la tendance se maintient, conclut le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié au mois de mars.
Dimanche, ces femmes aux yeux cernés par des nuits écourtées, ces mères derrière les poussettes, ces citoyennes engagées pour l’avenir de l’humanité ne craignaient pas d’être prises pour des utopistes. Elles savent qu’il reste trois ans pour agir afin que les émissions de gaz à effet de serre plafonnent et que des options sont accessibles. Encore faut-il les étudier, les envisager et les adopter. Encore faut-il faire de l’environnement une priorité. Encore faut-il reconnaitre que l’enjeu est majeur, que l’heure est grave et qu’il en va de l’avenir de nos enfants. « Le gouvernement ne peut rester indéfiniment fermé à la parole d’autant de gens », a conclu Françoise David, dimanche, dans un discours devant l’Assemblée nationale, près de trente ans après la marche du Pain et des roses qu’elle avait organisée.
Les pères étaient nombreux aux côtés de ces mères mobilisées, parce qu’ils savent que quand les mères se fâchent c’est que l’heure est grave, parce qu’ils savent que leurs enfants avancent face à un mur qui ne cesse de grandir et qu’ils ne pourront plus franchir. Des grands-parents, des citoyens se sont joints à ce mouvement plein de colère et plein d’espoir. Tous ont marché, les poings chargés de colère, les pas remplis d’espoir. Tous se sont unis, portés par le même élan d’espoir. Tous étaient là, pour la suite du monde.
« L’espoir est dans l’action », clame Laure Waridel. Et au lendemain de cette marche, je me suis demandé quel gouvernement peut fermer les yeux face aux revendications de celles et ceux qui se mobilisent pour que les futures générations aient un avenir. On parle de nos enfants!