Le cellulaire en classe?
Par Frédérique David
Le cellulaire en classe est devenu le nouveau dilemme dans toutes les écoles du Québec. À une autre époque, c’était la gomme à mâcher. Dans quelques décennies, on fera certainement face à un nouvel irritant. N’empêche que la présence des téléphones cellulaires en classe, au primaire et au secondaire, est devenu un problème considérable et 92% des 7 000 enseignants sondés le mois dernier par la Fédération de l’enseignement (FSE-CSQ) veulent l’interdire, sauf dans le cadre d’activités pédagogiques. Fin mai, le Parti québécois a déposé une motion demandant d’encadrer l’utilisation du téléphone cellulaire en classe au primaire et au secondaire. Le gouvernement caquiste a malheureusement rejeté la motion. Difficile de comprendre ce qui l’a motivé à passer à côté de discussions qui s’avèrent pourtant nécessaires pour améliorer les conditions d’enseignement et les conditions d’apprentissage de nos jeunes. Depuis 2018, la France a interdit le cellulaire dans les écoles, même pendant les pauses. En Ontario, un règlement a été adopté en 2019 autorisant leur utilisation en dehors des heures de cours. On en est là. Des règlements s’imposent parce que les enfants concernés sont scotchés à leur écran sans en mesurer l’impact sur leurs apprentissages et sur leur santé physique et mentale.
Un déficit social
En entrevue à Radio-Canada récemment, le célèbre pédiatre Jean-François Chicoine soulevait la nécessité de redonner aux enfants la possibilité de parler à leurs pairs et non de communiquer avec eux par textos comme ils le font présentement, même lorsqu’ils sont à la cafétéria de l’école. Il ajoutait aussi que les enfants, qui présentent de plus en plus de problèmes d’anxiété, ne devraient pas texter chez eux lorsqu’ils sont à l’école et que leurs parents devraient cesser de texter leurs enfants pour les surveiller. À un certain âge, l’enfant a besoin d’explorer son monde librement pour gagner de l’assurance et de la confiance.
Des conséquences sur la santé
En 2019, des professionnels de la santé en France publiaient une lettre dans Le Monde, inquiets de ce qu’ils considéraient être les conséquences de l’exposition aux écrans. Chez les enfants scolarisés de 2 à 11 ans, ils constataient une augmentation de 24 % des troubles intellectuels et cognitifs, de 54 % des troubles psychiques et de 94 % des troubles du langage entre 2010 et 2019, alors que les troubles visuels, auditifs, viscéraux et moteurs n’avaient pas bougé.
Récemment, une étude dirigée par Caroline Fitzpatrick, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’utilisation des médias numériques par les enfants, a révélé que les écrans ont des répercussions sur la capacité des enfants à réguler leurs émotions. Les petits de 3 à 5 ans qui ont participé à cette étude étaient exposés à des temps d’écran dépassant les recommandations pédiatriques de 1 heure par jour et présentaient une augmentation des manifestations de colère et de frustration.
Et sur la réussite
Au Québec, la psychologue et chercheuse Linda Pagani s’intéresse depuis des années à la question de l’impact des écrans sur la santé et sur la réussite des jeunes. Elle a notamment constaté que les enfants de 10 à 13 ans qui avaient été exposés à plus de temps d’écran échouaient davantage en mathématiques que les autres et étaient moins engagés en classe. Dans la récente entrevue accordée à Radio-Canada, le Dr Jean-François Chicoine s’inquiète d’ailleurs du niveau intentionnel des jeunes. « En région, on a une prescription de psychostimulants chez 20 % des enfants », déplore-t-il avant d’ajouter que le déficit d’attention créé par le cellulaire ou par des tentations au niveau de l’attention est souvent confondue avec un trouble de déficit de l’attention. « Et comme les ressources en psychologie ou en évaluation ne sont pas grandes, une médication est rapidement donnée! », a-t-il ajouté.
Bref, les études se multiplient et les experts s’inquiètent depuis des années. L’école n’a plus le choix d’agir pour limiter les dégâts, d’autant plus que les parents, qui sont en première ligne pour agir, ont eux-mêmes les yeux fixés sur leur téléphone. La CAQ, qui a eu l’intelligence de limiter d’autres dégâts en légiférant récemment sur le travail des mineurs, a cette fois-ci manqué une occasion de mieux encadrer un fléau dont les répercussions sont très préoccupantes.