Un Québec encore fou de ses enfants?
Par Frédérique David
Il y a plus de trente ans, la publication du rapport « Un Québec fou de ses enfants », présidé par le psychologue Camil Bouchard, faisait prendre conscience de l’importance de se soucier du bien-être de nos enfants. Trente ans plus tard, doit-on se réjouir d’apprendre que de plus en plus d’enfants de moins de 13 ans se retrouvent sur le marché du travail?
Le constat n’est pas nouveau, mais la pénurie de main-d’œuvre a amplifié le phénomène puisque de nombreux employeurs se tournent désormais vers l’embauche de jeunes de 12 ans et moins pour pallier le problème. Il n’est plus rare, désormais, de voir de très jeunes travailler comme commis à l’épicerie ou dresser les tables d’un restaurant. Le nombre exact, on ne le connait pas. Aussi aberrant que cela puisse paraitre, il n’existe aucune statistique officielle sur cette tendance qui prend pourtant de l’ampleur. On ne peut que se fier au taux d’emploi des 15 à 19 ans qui est passé de 43 % à 51 % au cours des cinq dernières années pour comprendre que celui des 12 ans et moins a forcément augmenté.
Et là, j’en entends déjà me dire « de mon temps, à 10 ans, on travaillait aux champs avec nos parents! » ou « il faut valoriser le travail et l’effort! » ou encore « pendant ce temps ils ne sont pas devant un écran! » Sincèrement, pourrait-on prendre des décisions pour l’avenir de notre société basées sur d’autres paradigmes que les « moi je » et « de mon temps »? Peut-on faire évoluer la société? Peut-on corriger les erreurs du passé? Peut-on se soucier réellement de l’avenir de nos enfants? Peut-on se préoccuper aussi de leurs besoins immédiats? On parle d’enfants! On parle d’êtres humains en développement qui n’ont pas les mêmes besoins que les adultes! À 10 ou 11 ans, un enfant a encore besoin de jouer, de socialiser avec ses pairs pour assurer son développement cognitif et affectif. Il a encore besoin d’un certain nombre d’heures de sommeil et d’une alimentation régulière et équilibrée pour assurer son développement physique. Il a encore besoin d’être rassuré, aimé, écouté et accompagné. Un enfant reste un enfant et ne devrait pas mener une vie d’adulte!
Le problème n’est pas le jeune qui lave les tables d’un restaurant quelques heures le dimanche. Le problème c’est l’abus inévitable, la dérive qui nous guette. Combien d’enfants, attirés par l’argent, vont délaisser leurs études? Combien de parents incapables de joindre les deux bouts face à la hausse des prix vont encourager leurs enfants à travailler pour aider financièrement la famille? Combien d’employeurs vont abuser de ces jeunes en leur faisant faire des tâches trop difficiles ou en leur imposant un horaire qui nuira à leur réussite scolaire parce qu’ils ne trouvent personne d’autre pour le faire? On entend déjà parler de jeunes de 12 ans qui travaillent plus de quarante heures par semaine et qui, épuisés, ne se présentent plus en cours le lundi matin. Quel avenir réserve-t-on à ces enfants?
Il serait temps que le Québec impose un âge minimum pour travailler, comme l’ont fait d’autres pays, d’autres provinces. Les seules lois en vigueur actuellement exigent que l’employeur fasse passer l’école avant le travail jusqu’à 16 ans, qu’il ne fasse pas manquer l’école à un enfant et qu’il ne lui impose pas des tâches qui soient au-delà de ses capacités ou qui nuisent à son développement. Mais les mécanismes de contrôle sont quasi absents! Seuls les employeurs eux-mêmes et les enfants concernés sont responsables de veiller au respect de ces règles. Est-ce vraiment réaliste de penser qu’un jeune de 12 ans va connaitre ses droits et oser les défendre face à un employeur adulte? À cet âge, sait-il où s’adresser en cas de non-respect de ses droits?
Le ministre du Travail et de l’Emploi se dit préoccupé par l’augmentation des 12 ans et moins sur le marché du travail. Son gouvernement a envisagé de rendre l’école obligatoire jusqu’à 18 ans. Il devrait peut-être envisager d’interdire le travail des enfants s’il veut être cohérent. Parce que combiner le travail et l’école mène inévitablement à une hausse du décrochage scolaire. Parce que les impératifs économiques risquent rapidement de prendre le dessus sur les besoins de nos enfants, ce qui est profondément troublant et dangereux. Si le Québec est encore fou de ses enfants, il doit mettre en place des lois et des mécanismes de contrôle permettant d’assurer leur développement et de leur assurer un avenir. Peut-on souhaiter une société plus éduquée et des enfants mieux préparés à l’exercice de la citoyenneté? Peut-on souhaiter un avenir plus juste à nos enfants et non un retour au Québec des années 1920? Peut-on prioriser et valoriser l’éducation dans notre société pour l’avenir de l’humanité?