(Photo : Simon Cordeau)
« Si je suis avec les gens et qu’on cherche ensemble, pour améliorer leur sort ici, que ce soit les réfugiés, les pauvres ou une question de justice, on fait grandir le Royaume de Dieu. Parce que c’est un royaume de justice, de paix, de partage », explique le curé André Daoust.

L’action avant la parole, l’amour avant la foi

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Le presbytère de Sainte-Adèle héberge présentement une famille de réfugiés ukrainiens. Pour André Daoust, curé depuis 40 ans, c’est dans cette aide humanitaire, dans cette main tendue vers l’autre, que la chrétienté trouve tout son sens. Et ce, même si ceux qui s’intéressent au mystère de Jésus sont de plus en plus rares.

Alors qu’on croyait le printemps bien installé, ce matin d’avril est blanc. Une lourde neige est tombée pendant la nuit. Au presbytère, il n’y a pas d’électricité. Le curé Daoust propose qu’on s’installe plutôt dans l’église pour notre entrevue. Malgré la panne de courant, la nef est baignée d’une faible lumière, et nos paroles résonnent dans l’espace.

À 75 ans, André Daoust a prêché 7 ans à Blainville, 8 ans à Saint-Eustache, puis 14 ans à Saint-Jérôme. Il est maintenant à Sainte-Adèle depuis 10 ans. Est-ce que le rôle du prêtre à changer, depuis ses débuts? « Je dirais que c’est le même rôle, sauf que c’est l’Église, ou le monde, qui ont changé. »

« Je viens de Saint-Hermas, à Mirabel. Celui qui n’allait pas à la messe, le dimanche, était considéré comme un protestant. Parce que ça voulait dire qu’il appartenait à une autre communauté religieuse. Aujourd’hui, celui qui va à la messe se fait regarder. C’est l’inverse », raconte le curé.

L’église de Sainte-Adèle ne sert plus qu’une fois par semaine… sauf quand il y a des funérailles. Celle de Mont-Rolland sera bientôt vendue. « La grande majorité de ceux qui viennent, ce sont des gens du troisième âge. Je trouve ça difficile comme curé. Parce qu’on a un message extraordinaire, mais les jeunes générations ne l’ont pas saisi », déplore-t-il.

Quelques-uns trouvent encore leur chemin vers la foi. Durant la veillée pascale, le curé célébrera trois ou quatre baptêmes d’adultes, me dit-il. « L’Église de demain, ce seront des gens qui feront une démarche personnelle, qui vont découvrir la personne de Jésus, qui est unique au monde. Mais on va être une petite minorité. Et je pense qu’on va avoir beaucoup trop d’églises », admet-il.

Accueillir

Même si cette désaffectation pour l’Église catholique l’attriste, le curé Daoust a bien d’autres projets pour l’occuper. Après tout, que peut-il contre les mouvements de l’histoire? Depuis quelques années, il consacre ses énergies à l’accueil de réfugiés.

« En 2015, on a créé un comité de parrainage pour accueillir des réfugiés syriens, à cause de la guerre. C’était formidable : on avait des gens qui sont venus des différentes paroisses pour le comité. » D’autres dénominations chrétiennes, comme l’Église unie et l’Église anglicane, se sont aussi jointes au comité, se réjouit le curé. « Il y a des liens qui se tissent entre nous autres, et on s’admire mutuellement. »

Pour le curé Daoust, l’objectif n’est pas de répandre la foi ou de convaincre, mais bien de rejoindre les gens dans leur souffrance et dans leurs préoccupations. « C’est l’amour universel. L’étranger, le malade, l’infirme, le pêcheur : c’est mon frère, et j’ai à l’aider », illustre-t-il. « C’est ça l’Église. Les paroles, ça compte, mais le plus important, ce sont les œuvres, c’est l’action. »

En ce moment, son comité parraine aussi une jeune famille syrienne réfugiée en Turquie, ainsi qu’un jeune adulte en Égypte. Mais son attention est maintenant tournée vers l’Ukraine, la guerre qui y sévit, et les familles qui la fuient.

Fuir la guerre

Une famille de cinq occupe présentement le presbytère : le père Alexandre, la mère Liudmyla et leurs trois enfants, deux filles de 13 et 11 ans et un garçon de 9 ans. « Alexandre est un Québécois. Il était le garçon d’honneur d’un ami qui se mariait en Ukraine. Liudmyla était la fille d’honneur de la mariée. Et le feu a pris entre les deux », raconte le curé. Après s’être marié à son tour, le couple demeure d’abord au Québec, puis décide de s’installer en Ukraine pour élever leurs enfants.

Lorsque la guerre éclate, la famille demeure près du fleuve Dniepr, qui traverse l’Ukraine. Plus haut, un barrage régule le niveau d’eau. Mais la peur qu’à tout moment un missile russe puisse faire céder le barrage est trop grande. Ils partent donc pour Lviv, près de la frontière polonaise, laissant derrière eux leur appartement, leur nouveau condo qu’ils étaient en train d’aménager, et leur vie d’avant.

Ils ne resteront que cinq jours à Lviv. Quatre ou cinq fois par jour, les sirènes sonnent dans les rues, pour annoncer un bombardement. « Chaque fois, ils prennent leurs choses, font au moins 1 km à pied pour se mettre à l’abri, dans les sous-sols d’églises, puis ils attendent. Après, ils repartent… jusqu’à la prochaine sirène. Tu vis dans la peur et le stress tout le temps », raconte le curé. Pour les enfants surtout, c’est insupportable.

Ils décident de fuir vers la frontière. Là, ce sont des milliers de gens qui attendent pour traverser en Pologne. « Lui a été debout 14 heures, pressé comme une sardine. Et ça pousse! Il a été témoin de trois batailles. Sa femme et ses enfants ont réussi à passer 5 heures avant lui », continue le prêtre.

Ils réussissent ensuite à se rendre à Francfort en Allemagne, où ils prennent l’avion pour le Québec. Ce sont les parents d’Alexandre et un ami qui paient pour les billets. Arrivée ici, la famille loue d’abord une chambre d’hôtel. Mais grâce à une paroissienne, le curé Daoust l’apprend et leur offre de s’installer au presbytère, où la famille de cinq peut loger gratuitement.

Élan de solidarité

La famille est maintenant bien installée, après quelques ajustements. « Au début, on avait l’imprimante dans la cuisine, de sorte que la mère ne se sentait pas chez elle. » Les bénévoles, généreux et accueillants, voulaient aussi rencontrer la famille. Mais après le traumatisme de la guerre, explique le curé, celle-ci souhaite un peu d’intimité.

M. Daoust salue tout de même « l’élan de solidarité » de la communauté qui permet de soutenir la famille. « Là-bas, ils ont tout perdu. Leur appartement n’est pas encore détruit. Mais ce qu’ils ont investi, est-ce qu’ils pourront le récupérer? On ne le sait pas. »

Et il y a d’autres réfugiés, là-bas, qui cherchent aussi où fuir. « On est en lien avec le COFFRET. Ils m’ont donné une liste de trois familles qui pourraient venir ici. » Le curé sort une feuille de sa poche qu’il me lit. Une mère avec deux enfants : un de 9 ans et un bébé d’un an. Une autre est déjà en Pologne, avec sa fille de 15 ans et sa propre mère, atteinte du cancer. Certaines réfugiées ne sont pas sûres de venir, parce que leur mari doit rester en Ukraine pour combattre.

Avec l’Association ukrainienne des Laurentides, l’objectif est de créer une petite communauté ici : quelques familles qui se connaissent, qui peuvent se parler dans leur langue et qui peuvent se soutenir.

« On a le cœur sur la main, on est prêts à les accueillir, mais est-ce qu’on aura des logements? À prix abordable, aussi? » M. Daoust se demande à voix haute si les municipalités pourraient contribuer. Certains citoyens sont bien prêts à ouvrir leurs portes, mais seulement pour quelques mois. Il s’agit, après tout, d’accueillir une famille entière, pour une durée indéterminée.

« La charité est inventive. On va trouver les moyens. » Le curé se retourne pour regarder son église, vide, où les vitraux laissent entrer un halo diffus.

« L’église est trop grande, d’ailleurs. On pourrait en prendre la moitié pour faire des logements ici », rêve-t-il à voix haute. « Mais ce sont des investissements, ça coûterait cher », reprend-il à mi-voix.

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