(Photo : Simon Cordeau)

Parc du Mont-Loup-Garou : Sur les traces de Jean-Louis Poirier

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

« Les gens me disent qu’ils ont fait mon sentier. Mais ce n’est pas mon sentier. Il appartient à tout le monde. Je l’ai fait pour que les gens en profitent », m’explique Jean-Louis Poirier. Je le rencontre au parc du Mont-Loup-Garou, à Sainte-Adèle. Devant la grande carte, à l’entrée, il me montre les pistes qu’il a tracées. En février, j’ai parcouru celle qui porte son nom, la Poirier, pour revenir par la Rainette et la Lac Richer. Avec un détour par la Miloup, le tout m’avait pris un peu moins de 3 heures. « Ouh là là ! Tu n’es pas en forme ! Moi, je fais ça en 1 h 50 », me lance-t-il, de ses 79 ans, taquin.

À la mi-mars, le temps est doux mais encore frisquet. Dans les sentiers, la neige est tapée, dure et parfois glacée. Pendant qu’on entre dans le bois, pour nous diriger vers le lac Matley, M. Poirier me raconte qu’il a tracé les sentiers de raquette du parc il y a déjà 20-25 ans. Il est avant tout « un gars de ski de fond », explique-t-il. Mais les sentiers de ski, qui sont tracées mécaniquement, coûtent cher à entretenir. Et il suffit d’un raquetteur ou deux pour les détruire. Les skieurs cherchaient donc une alternative pour les raquetteurs. « Je leur dis : « Donnez-moi des pancartes, et je vais vous en tracer, des sentiers ! » », raconte M. Poirier.

Tracer

M. Poirier parle des sentiers qu’il a tracés avec humilité. Lorsqu’on parle de la Poirier, il s’empresse de préciser : « Ce n’est pas moi qui l’a nommée comme ça. C’est l’administration de Plein air Sainte-Adèle (PASA), qui voulait rendre hommage au travail que j’ai fait. Quand je l’ai créée, je l’avais nommée la Montagne. » La Poirier suit les hauts et les bas de la montagne, jusqu’au sommet. C’est un parcours cardio de 3,5 km. « La Marais est plus facile, plus douce. Elle monte graduellement, puis elle rejoint la Poirier. »

Comment choisir où passer pour tracer les sentiers ? « C’est de marcher en forêt et de voir les beaux endroits. Tracer des sentiers pédestres, c’est facile. Tu contournes les arbres et tu coupes des petites branches. Et l’impact écologique est à peu près nul », explique le traceur. L’essentiel est de lier les points d’intérêt : les beaux rochers couverts de glace en hiver, les lacs qu’on peut admirer de la rive, un boisé de grandes pruches, etc. « Quand j’ai fait la Richer, je voulais m’assurer qu’on voit le lac, tout le tour du lac », illustre M. Poirier.

Préserver

Le parc du Mont-Loup-Garou est ouvert officiellement depuis juin 2021, il y a près de 2 ans. Mais M. Poirier fréquente l’endroit depuis bien plus longtemps. « Ça fait 50 ans que je fais du ski de fond et du plein air ici. Les propriétaires nous laissaient passer. Ils ont été bienveillants toutes ces années. »

Aujourd’hui, la forêt est protégée à perpétuité. Mais il aurait pu en être autrement. « En haut, au refuge, j’ai vu des photos où, sur le dessus du mont Loup-Garou, il n’y a pas un seul arbre. Il y avait quelques vergers dans ce coin-là, et des cultivateurs. Le bois de chauffage pour Montréal, c’est entre autres d’ici que ça venait, dans les années 1940-1950 », raconte le randonneur.

Jusqu’à récemment, M. Poirier était président de la Société de protection foncière de Sainte-Adèle (SPFSA), qui possède 400 hectares de milieux naturels protégés. Il était aussi « l’ambassadeur » du projet pour transformer le mont Loup-Garou en parc, avec la précédente mairesse de Sainte-Adèle, Nadine Brière. « La Ville a mis 1 M$ en partant. Puis on a ramassé 1,3 M$ environ pour acheter les terrains. »

Fait important : le parc du Mont-Loup-Garou est créé de façon à le protéger à perpétuité. La Ville s’engage à le développer de la manière la plus écologique possible. Surtout, de futures administrations municipales ne pourront pas morceler les terrains du parc pour les vendre à des promoteurs, par exemple.

Récemment, la SPFSA a aussi reçu les terrains du club de ski de fond Viking à Morin-Heights, indique M. Poirier. Elle a donné la moitié des 320 acres à la Municipalité, et elles travaillent ensemble pour pérenniser l’ensemble et ses sentiers patrimoniaux. Comme pour le parc du Mont-Loup-Garou, l’objectif est de les protéger pour les générations futures. « Ça devrait se faire dans la prochaine année », s’enthousiasme M. Poirier.

Retracer

Et pourtant, le travail de M. Poirier n’est pas terminé. Alors qu’on monte dans son sentier pour rejoindre un grand rocher couvert d’un rideau de glace, il m’indique que son tracé devra être changé bientôt. Le sentier monte trop directement dans la montagne. Lorsque la neige fond ou qu’il pleut, il se transforme en rivière, aggravant l’érosion. Si le sentier serpente un peu, l’écoulement de l’eau l’affectera moins, m’indique le traceur.

Il devra aussi redessiner la Lac Richer. « Maintenant, on veut que les sentiers soient utilisables toute l’année ou presque. » M. Poirier regarde donc où il pourra retracer le sentier, pour éviter de traverser le lac et les marais. Même au printemps, c’est déjà un problème. « Quand il fait trop soleil, ça défonce partout. »

Continuer

À la retraite depuis presque 20 ans, M. Poirier fait du plein air 5-6 jours par semaine. Il en profite pour entretenir ses sentiers. « Quand il fait très froid, je préfère prendre un livre. » Le grand air et l’activité physique le tiennent en forme. « J’ai fait la course de 10 km à Morin-Heights, l’année dernière, en 1 h 04. Cette année, je ne l’ai pas faite, parce que j’ai attrapé la COVID. L’année prochaine, à 80 ans, peut-être que je ne battrai pas mon record. Ça dépend toujours des conditions. »

Mais le Nord et les grands espaces ont toujours fait partie de lui. Il a fait sa carrière comme pilote, dans l’Arctique. « On opérait des deux-moteurs de vingt passagers. On servait les villages inuits. » Il ravitaillait aussi les bases radars du Grand-Nord. Il a aussi été instructeur de ski alpin à Mont-Tremblant durant cinq hivers.

Dans les forêts laurentiennes, il se sent chez lui. « Je trace des sentiers pour les autres. Moi, je n’en ai pas besoin pour marcher dans le bois. »

Après notre entretien, M. Poirier me salue et continue vers la Deveault. Il n’a pas fini sa randonnée.

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