La culture, la géographie et moi…

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CHRONIQUE

Par Daniel Giguère

Je sais bien qu’elle est vieille et moche avec ses grosses taches de rousseur apparues au fil des ans, et qui lui font une allure de Picotine en phase terminale. Je l’entends toussoter le matin, ma pauvre Gertrude. Elle a besoin que je m’occupe de sa santé un peu plus souvent qu’avant. Ses petits caprices m’agacent, pour tout vous dire, mais j’évite de la contrarier, parce qu’elle et moi, comme je lui dis souvent, c’est à la vie à la mort.
Enfin, plus sa mort que la mienne, si vous voulez tout savoir parce qu’elle fait maintenant un peu d’incontinence, alors je devrai tôt ou tard l’envoyer dans un espèce de centre d’accueil où quelqu’un trouvera peut-être quelque chose à récupérer avant de l’envoyer au cimetière des mal-aimés.
Que voulez-vous, avec ses 250 000 kilomètres au compteur, ma bagnole pollue effrontément l’atmosphère et contribue au réchauffement de la planète chaque fois que je la démarre. Mais pour me donner bonne conscience, je dis toujours que c’est son empreinte écologique à elle qu’on voit sur les routes. Moi, je suis derrière le volant, alors j’y suis pour rien.
Mais j’imagine bien que le marionnettiste en chef là-haut n’est pas de mon avis, et qu’il a dû se taper un cancer des poumons à force de se pencher sur ses ouailles, mais a-t-on vraiment les moyens de faire autrement quand on vit en région? Bouffer des kilomètres en voiture, c’est le prix à payer quand, comme moi, on aime la culture au point de vouloir en consommer le plus souvent possible.
Oui, je sais, y’a Télé-Métropole, mais je n’ai pas encore percé le mystère de la télécommande.
Vivre en région, c’est faire tous les jours l’expérience de la géographie, on n’en sort pas. Les activités culturelles sont souvent peu nombreuses et diversifiées dans nos villages et campagnes, alors si une exposition ou un spectacle paraît justifier le déplacement, il faudra prendre la voiture, rouler un long moment dans une espèce d’entre-deux où la nature défile, offrant un panorama cent fois aperçu, au point où on ne le voit plus vraiment. Un temps où l’esprit se met au neutre. Circulez, y’a rien à voir.
D’ailleurs, le déplacement ne fait même pas partie de l’expérience culturelle. C’est simplement un mal nécessaire parce que rouler sur la 370, par exemple, c’est le ronron assuré, à moins de croiser un chevreuil, ou pire encore : suivre un touriste qui roule si lentement qu’on a le temps de compter les arbres sur le bord de la route, ou s’inventer mille et une façons de l’envoyer dans le décor.
À ce propos, quelqu’un devrait penser à fermer à double tour la porte du Nord après les vacances d’été, mais bon, c’est un autre sujet.
Alors, quand on parle de culture locale, désolé de l’ironie, mais l’expression est assez paradoxale merci, tant le local prend ici une dimension quasi nationale. C’est tout juste si on ne change pas de fuseau horaire!
Il y a quelque temps, je jetais un œil au très beau site laculture.ca, sur lequel je vais à l’occasion. On annonçait l’exposition d’une artiste peintre quelque part à l’autre bout du comté, ce qui, concrètement, voulait dire à plus ou moins 50 minutes de chez moi. Je ne savais rien de l’artiste, je ne voyais qu’une toile, un fragment par ailleurs qui ne m’attirait pas vraiment tant l’infographie était de mauvaise qualité.
Je n’y suis pas allé, évidemment. Combien seraient prêts à parcourir le fameux 50 minutes sans savoir ce qui les attend au bout de la route? Au pire, on sera quitte pour une virée en nature, à la condition qu’il fasse beau. Mais je fais le pari que la plupart préféreront 50 minutes de gris en forêt plutôt qu’en voiture. Goûter la nature, c’est en faire l’expérience par les sens, et non par la bagnole.
Pourtant, les artistes par ici sont excellents, et n’ont absolument rien à envier à ceux de la grande ville. Je les aime et je les apprécie de plus en plus, ces sculpteurs, peintres, auteurs et musiciens, mais encore faut-il leur donner l’occasion de s’exprimer et de se faire voir dans des lieux de diffusion. Sauf qu’en dehors des élections, qui s’intéresse vraiment au développement de la culture comme outil économique et social?
Ah oui, j’oubliais! Paraît qu’on va avoir un magnifique centre sportif, qui coûtera des millions, pour encourager les jeunes, et moins jeunes, à pratiquer des sports… à l’intérieur. Et comment on va faire pour en profiter? Évidemment, grâce à la voiture.
Gertrude, faut pas me lâcher tout de suite! T’es encore jolie, je t’assure, même avec tes taches de rousseur…

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