(Photo : Courtoisie )

« C’est un long processus de guérison, mais il n’est jamais trop tard pour commencer »

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Décès de Joyce Echaquan

Dominique Rankin, chef héréditaire algonquin et résident de Val-des-Lacs, a beaucoup pleuré après avoir appris le décès de Joyce Echaquan à Joliette. « J’étais très ébranlé. Quand j’ai vu la vidéo, j’ai vu mon fils. »

Ce n’est pas la première fois que l’aîné algonquin expérimente de près la violence en milieu hospitalier envers les Autochtones. À l’époque, son fils avait lui aussi enregistré le personnel médical, mais seulement de manière audio. « Mon fils était paralysé. Il ne pouvait pas se retourner par lui-même. On entend un homme derrière lui dire “Mon tabarnak je vais réussir à te virer même si t’es gros” ». La vidéo de Joyce lui a donc rappelé ce pénible souvenir, d’où notamment la colère et la tristesse qu’elle a suscitées en lui.

Le 1er octobre, trois jours après ce décès qui a secoué le Québec, Dominique Rankin nous accorde une entrevue dans laquelle il confie d’entrée de jeu s’être réveillé aujourd’hui habité d’une vision plus positive tournée vers le changement et la lumière. La journée précédente, il s’était adressé, via la page Facebook de l’organisme Kina8at, à la population : « La façon que notre petite sœur Joyce nous a quittés, je pense que nous sommes tous touchés. J’en suis un. Ça m’a bouleversé toute la journée. […] Il faut que nous soyons prêts ensemble, et embarquions tous dans le même canot, dans la même direction que la rivière nous amène. » Il s’agissait d’un appel non pas à la colère, mais à la paix, à l’amour et à la solidarité. Refusant d’être prisonnier de la frustration et de la haine, le chef promeut une approche optimiste.

Le Centre Kina8at dans les Laurentides

Dominique Rankin a cofondé en 2013 l’organismeà but non lucratif Kina8at qui signifie « ensemble » dans la langue algonquine, puis en 2020, la Fondation Dominique Rankin. Tous les deux ont pour mission de favoriser la guérison et la reconnexion culturelle chez les Premières Nations, en plus de promouvoir la réconciliation et le partage des cultures autochtones avec tous.

Le 21 mai 2018, un terrain de 400 000 mètres carrés à La Conception, tout près de Mont-Tremblant, a été acquis afin de créer le Centre Kina8at. Il est ouvert à tous et vise la transmission de la culture autochtone, tout en permet-tant aux Autochtones de retrouver la joie de vivre et la fierté de leurs ancêtres.

Source : kina8at.ca

Dominique Rankin, chef héréditaire algonquin. Photo : J-S. Veilleux

Être humain avant tout

Aujourd’hui âgé de 73 ans, Dominique Rankin est lui-même un survivant de la terrible époque des pensionnats indiens créés pour assimiler les enfants autochtones à la culture eurocanadienne. Il a vécu l’agressivité qui a accompagné ce passage et toute la douleur d’être arraché à ses parents. « Ma vie a été bouleversée ». L’aîné a aussi connu le poids des préjugés, lui qui raconte avoir été diagnostiqué à tort d’alcoolique et envoyé dans des cliniques de désintoxication ou aux Alcooliques anonymes. Dominique Rankin reconnait qu’à l’époque, il renfermait beaucoup de violence en lui. Ce dernier retrouvait la paix et la sérénité uniquement lorsqu’il retournait à ses racines et se reconnectait à la nature, lui qui a toujours préféré la forêt à la ville. « J’ai fini par trouver qui j’étais quand je retournais dans ma communauté. » Tranquillement, il a forgé son identité et trouvé le bonheur. Aujourd’hui, malgré l’adversité, l’aîné porte une vision positive axée sur l’amour et la paix. Il ne souhaite aucune séparation entre les peuples qui doivent tous être perçus avant tout comme des êtres humains – une mentalité qu’il rêve de voir gravée dans le cœur et l’esprit de tous.

L’appui que la communauté autochtone a reçu dans les derniers jours l’a d’ailleurs beaucoup touché. « Je voudrais remercier la population. J’ai reçu des mots extraordinaires. C’est l’appui moral et c’est la preuve que ce n’est pas la fin, mais le début de notre amitié et de notre confiance. »

Guérir par l’éducation et la connaissance

Pour Dominique Rankin, c’est par l’entremise de l’histoire et de l’éducation transmise de génération en génération, que se sont bâtis les préjugés vis-à-vis des peuples autochtones au Québec. Pour l’aîné, la réconciliation et la guérison doivent donc aussi passer par l’éducation, la sensibilisation et la formation afin de renverser les mentalités. Il a lui-même été témoin de l’efficacité de cette approche.

De ce fait, le cofondateur de Kina8at donne des formations chez des fonctionnaires généraux et dans différents domaines comme le corps policier. Ce genre d’enseignement permet de mieux se familiariser avec la philosophie autochtone, en apprendre davantage sur les peuples et comprendre comment aller à leur rencontre. « Il faut se connaître; on ne se connait pas assez », déplore-t-il. « C’est un long processus de guérison, mais il n’est jamais trop tard pour commencer. C’est maintenant qu’il faut commencer. Pas demain, maintenant. »

Migwech Joyce

Est-ce le bon moment de tout simplement être à l’écoute? « Je pense qu’il faut ouvrir le cœur au complet. […] Le premier ministre du Québec doit mettre ses culottes. Il doit parler avec son cœur. J’aimerais qu’il mette son poing sur la table et qu’il dise c’est assez, c’est terminé. » Pour le chef héréditaire algonquin, il faut prioriser une vision de vivre-ensemble et d’harmonie et ainsi devenir « des frères et des sœurs égaux. »

Le 30 septembre dernier, Dominique Rankin terminait sa vidéo qu’il adressait à tous en disant « migwech Joyce », ce qui signifie dans sa langue, « merci Joyce ». Bien qu’il espère que plus jamais un tel drame ne survienne de nouveau, le chef héréditaire remercie Joyce Echaquan d’avoir ouvert une « grande porte » pour tout le monde, elle qui, jusqu’à la toute fin, nous a offert à tous des enseignements et une leçon importante. « Il faut aller dans cette direction, dans l’ouverture de la lumière. »

Dominique Rankin poursuit sa généreuse mission la tête haute et le cœur rempli d’espoir et d’amour. Il souhaite maintenant supporter la douleur de tous ceux qui ont été affectés par ce drame et de transmettre sa vision aux générations futures afin de léguer le flambeau à l’avenir. « Espérons que nous allons être écoutés, surtout dans ta génération; nous avons besoin de vous », affirme-t-il. « C’est trop maintenant, il faut que ça arrête. »

4 commentaires

  1. Merci Dominique pour ce beau message! Je sais que maintenant tu es heureux 💙 Je remercie la vie de t’avoir eu dans mon parcours de vie et familiale. Je t’aimerai toujours. Je ne comprends pas les humains d’être aussi mechants envers les autres. Personne est différent, nous sommes tous de la même famille mais de couleurs différentes. Repose en Paix Joyce! Que ton âme reçoive tout l’amour qu’il te faut pour te reposer en paix.
    Chantal Dubé Montmagny

  2. Vous êtes très inspirant Dominic un modèle à suivre et continuez de semer l’amour. De tous cœur 💖 avec vous !! Chantal T. (Matagami)

  3. Je pense que cette fois-ci il va y avoir des changements les Quebecois vont y voir a ce que le gouvernement prends la situation serieusement on est plus capable comme peuple de voir nos frères et soeurs ce faire traiter avec mépris repose en paix ma belle Joyce

  4. « J’ai sept enfants qui se retrouvent sans mère »

    Combattre le racisme systémique «mais non systématique», valoriser les valeurs des 1e Nations, ma suggestion.
    La conception de la santé des Indiens, n’est pas la même que celle des blancs.

    Si madame Joyce Echaquan avait consulté et avait été soignée par des  »hommes médecine », un sorcier, un grand manitou, un chamane de sa tribu ou une spécialiste comme Josée Blanchette du Devoir, si elle avait été placée dans un cercle sacré dans une hutte de sudation, elle serait encore en vie. Les recettes ancestrales, les incantations traditionnelles et les moyens de guérison des maladies, basées sur la spiritualité profonde, ont fait leur preuve pendant des milliers d’années. La manière de vivre des ‘’Peuples premiers’’ est plus respectueuse de la nature. Leur conception du monde est basée sur l’animisme. Elle ne dissocie pas l’humain se son milieu naturel, le spirituel du matériel, l’esprit de la matière, comme chez le philosophe Descartes. Les dimensions mystique et holistique sont dominantes pour bien traiter les maladies et retrouver l’harmonie avec la nature.

    La revue française Géo a publié un numéro Hors-série, Les Indiens d’Amérique du Nord, en mai 2001. On peut lire : «Les esprits sont toujours de la fête. La spiritualité est au cœur de l’identité indienne. Elle revit actuellement à travers un regain spectaculaire des anciens rituels. (p. 55). Les rites curatifs, depuis toujours au centre des pratiques religieuses, connaissent une nouvelle vigueur. Les hommes-médecine apprennent au cours d’une longue initiation, les chants et les danses … oppose les mains sur son corps (du malade), secoue des grelots, prie et chante.» (p. 61) Ils portent sur eux des sachets d’herbes sacrées..» (p. 144)
    https://www.amazon.ca/hors-s%C3%A9rie-Indiens-dAm%C3%A9rique-nord/dp/B06XRW1K9T

    Le grand anthropologue Lévy-Bruhl a beaucoup étudié la «mentalité primitive». Il nous fait part de ses découvertes dans son livre Fonctions mentales qui est basé, entre autres sur les observations des Jésuites de Nouvelle-France, au début de la colonie et compilées dans leurs fameuses Relations des Jésuites ou Relation de ce qui s’est passé de plus remarquables aux missions des Peres de la Compagnie de Jésus en Nouvelle-France de 1620 à 1680. Malgré leurs préjugés, les Jésuites décrivaient assez bien la vie des indiens rencontrés, leurs pratiques pour guérir les maladies, leur grande connaissance du monde surnaturel, avant qu’ils ne soient influencés par les valeurs matérialistes occidentales. Les Relation sont basées sur les témoignages des premiers missionnaires qui ont vécu avec ces peuples.

    Cette dimension spirituelle, dans un hôpital utilisant des traitements basés sur la science, la technologie occidentale, la méthode expérimentale et la recherche, des hommes blancs, apparus avec la Modernité en 1600, n’est pas la même pour tous, ne peut s’appliquer à tous, elle est même presqu’inexistante.

    Les gouvernements doivent mettre fin au racisme systémique «mais non systématique» et historique qui découle du colonialisme. Les autochtones qui sont obligés de vivre en ville – plus de 50% d’entre eux – doivent être aidés à retourner vivre dans leurs 650 Nations.

    Les gouvernements doivent valoriser les autres formes de médecine comme la médecine chinoise, vieille de 5000 ans, et la médecine des Premiers arrivants en Amérique. Leurs manière de traiter des maladies ne sont pas basés sur la technologie mais sur la connaissance des plantes et des parties des animaux – os de tigre, vésicule biliaire des ours, salive des serpents, etc., utiles pour guérir et surtout qui ont fait leurs preuves.

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