Des lundis de fou pour les chauffeurs
Par yves-guezou
Transport urbain à Saint Jérôme
Impossible de ne pas résister au charme du petit Samy Séghir, qui incarne le personnage principal du dernier film de Thomas Gilou, Michou d’Auber.
Le jeune garçon tient le rôle de Messaoud, un jeune berbère algérien, qui est adopté par une famille de la France profonde, sur fond de troubles politiques liés à la guerre d’indépendance d’Algérie.
Le sujet est loin et très proche de nous à la fois. En 1962, ce pays de l’Afrique du nord obtenait finalement son indépendance de la France, après une guérilla sanglante et une répression particulièrement brutale de la Mère Patrie. L’Algérie était, à l’époque, un département français. Pas juste une colonie. C’est comme si le Québec cherchait à obtenir son indépendance, par la force si nécessaire. Et que le FLQ avait eu un énorme soutien parmi la population. Ce qui ne fut manifestement pas le cas, surtout après la mort de Pierre Laporte.
La situation algérienne était un peu comme ça: de larges pans de la population soutenaient la guérilla indépendantiste, d’autres souhaitaient que l’Algérie demeure française. Au milieu, des dizaines de milliers de Pieds noirs, des Français installés parfois depuis des générations en Algérie. Lorsque le général De Gaulle, qui dirigeait la France depuis la guerre, a finalement plié et «consenti» à l’indépendance algérienne, les Pieds noirs ont été rapatriés en France en catastrophe. Aujourd’hui, la société française est presque traumatisée. La France vit une sorte de choc des civilisations et des valeurs. Des millions de gens, dont les parents proviennent des ex-colonies, font face à un horizon bouché: crises d’emploi, de valeurs sociales, de solidarités, d’avenir. La France, qui avait parqué cette main-d’œuvre bon marché dans des HLM construits rapidement il y a quarante ans (devenus des bidonvilles depuis), les ont transformés en boucs émissaires de la plupart des maux dont l’Hexagone est affligé. Le dialogue est désormais rompu entre les Français de souche et les jeunes générations provenant surtout d’Afrique et des pays Arabes. Ajoutez à cela tous les malentendus autour de la religion, et vous avez un cocktail explosif.
C’est sur ce fond de tensions sociales constantes qu’arrive le film de Thomas Gilou. Quand on voit Michou d’Auber, on se dit que, dès 1962, tous les ingrédients étaient là pour préparer la crise actuelle. Car le film raconte comment un jeune garçon arabe et ses parents adoptifs doivent s’adapter afin que l’enfant puisse vivre une existence à peu près normale dans sa société d’accueil.La façon dont le jeune Messaoud fait son entrée dans la famille laisse songeur: pour amadouer son mari Georges (Gérard Depardieu), vétéran de la guerre d’Indochine et postier, la nouvelle maman de Messaoud, Gisèle (Nathalie Baye), teint en blond les cheveux de l’enfant. Et lui donne un nom français, Michel, ou Michou pour les intimes (je ne vous apprends rien puisque tout cela a été montré dans la bande-annonce). Les efforts de Gisèle ne s’arrêtent pas là: elle implore l’instituteur de lui donner une nouvelle identité. Car elle connaît parfaitement les sentiments de la population de son village à l’égard des Arabes: carrément hostiles. Contre toute attente et malgré les difficultés, le choc culturel, la perte de ses parents, Michou s’intègre et réussit à l’école. Il aura le soutien, au début hésitant mais à la fin inconditionnel, de ses nouveaux parents. Georges et Michou deviendront même des potes, car Georges fera du succès de son fils à l’école une affaire personnelle.
Mais cette histoire, inspirée de la vie du scénariste du film, Messaoud Hattou, raconte aussi la transformation des parents. Ces derniers surmontent le choc et les difficultés que pose l’intégration dans leur quotidien de ce jeune garçon que tout éloigne par la religion, les habitudes de vie et le reste. Leur opinion des Arabes, de leurs concitoyens et de la vie en général, sera fortement modifiée.
En fait, le constat du film peut aussi être transposé à l’échelle d’un pays. Et c’est exactement ce sujet qu’aborde de front la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables: il faut faire des efforts pour intégrer les immigrants, leur apprendre le Français, s’assurer qu’ils soient bien encadrés dès leur arrivée, logés, nourris, éduqués adéquatement, qu’ils puissent se trouver un emploi, etc. Mais il faut aussi que ces derniers reconnaissent les lois, les coutumes, les façons de faire et qu’ils désirent s’y conformer. Non pas par soumission mais par goût de la réussite sociale. Parce que l’intégration offre aussi la sécurité, le succès, la reconnaissance, la stabilité. Exactement ce que le jeune Michou cherchait à obtenir de sa famille d’accueil. Le film, qui se déguste fort agréablement soit dit en passant, pose donc le constat du déséquilibre actuel face à l’immigration. Et du délicat ajustement de part et d’autres, facilement menacé par les incompréhensions et les incertitudes de la société d’accueil et des immigrants eux-mêmes.