Canicule en trois actes
Elle était sur toutes les lèvres, et occupait toutes les tribunes, LA canicule, comme si c’était la première et la dernière de notre vie. Celle-là par contre, elle était particulièrement salée, avez-vous trouvé? Bon allez, je vous propose un tour de piste théâtral version caniculaire, une prestation en trois actes, une absente de censure, une à l’abri de tragique rectitude anti-SLĀV, une empreinte de liberté d’expression.
La genèse
Dans leur populaire chanson « Le But », les Locos Locass affirmaient avec justesse que le tissu social de Montréal était de la Sainte-Flanelle. Elle faisait référence au club de hockey qui rassemblait tout le monde, car c’était un sujet neutre et absent de jugement dichotomique. ON était fiers de gagner, ON était fiers de chialer, ON était fiers d’être des millions de coachs et de DG, plus compétents que les Julien, Bergevin, Molson et compagnie. Et puis là, notre paratonnerre social s’est mis à perdre, puis à perdre encore, et lentement mais sûrement, notre fierté par procuration a foutu le camp. Plus de fanfares, plus de fanions, rangez vos guitares, il n’y a plus de « Subby-Star » et n’ayant plus de phare, à la dérive…. on part.
Heureusement, c’est à ce moment qu’on a vu arriver une joueuse de premier trio en relève, telle une divine enfant. Son nom : canicule, celle qui comme une maladie, touche et polarise sans exception.
Acte 1 – La prémisse : l’annonce de l’accablante
Les chaînes de nouvelles en continu en parlent 23 heures sur 24, elles sont heureuses, elles ont du contenu « ça s’en vient, préparez-vous mesdames et messieurs, cachez vos enfants et vos personnes âgées dans des glacières! » On en entend parler à l’épicerie, et les SAQ capitalisent là-dessus, en nous incitant à faire des provisions, entre deux ou trois rondes de collages de collants roses et jaunes dans les vitrines. Les centres de rénos nous vendent la peur à grands coups de climatiseurs, tandis que les dépanneurs, eux, le font avec des caisses de 24 bonheurs. Nous… nous devenons volontiers les participants actifs de cette frénésie collective, une qui nous sort de notre train-train trop souvent mondain.
Acte 2 – Le bonus : un manque de courant
Déjà nous étions comblés, nos sujets n’étaient plus vides comme les locaux de certains centres-ville souvent oubliés, lorsque tout à coup : PAF – plus d’électricité! Ça hurle dans les chaumières, l’Hydro et ses sous-traitants doivent aller travailler une fin de semaine, et compléter un lundi de férié par-dessus le marché. Ça coûte cher tous ces employés, puis imaginez tout le manger qui va se gaspiller, et les assurances qui vont encore augmenter – et c’est reparti!
Acte 3 – La tragédie : jusqu’à ce que mort s’ensuive
Hôpital Sacré-Cœur, soins palliatifs, plus de 40 degrés, quelques heures à vivre, pas de clim, pas de ventilateur, pas de dignité. Mourir la tronche en sueurs, atroces conditions pour l’époux de la nouvelle veuve en pleurs. Les cadres se sont fait questionner, il ne faut pas vous inquiéter, ils ont réfléchi solide, dans leurs bureaux, à l’air conditionné. Oups. Ce n’est plus drôle… Des nôtres meurent… plus de 60 au dernier bilan, c’est la cata, on a l’air blême, et l’humeur au blâme.
Là, on cherche des coupables, des offrandes pour notre rationalité qui est vachement malmenée. Quand le stress et l’anxiété gagnent notre esprit, on produit du cortisol, cette hormone qui prend le contrôle de notre corps afin de nous protéger du danger, le problème, c’est qu’elle peut nous tuer. Là-dessus, un aparté, allez voir le documentaire sur internet appelé « Stress, portrait d’un tueur », par le National Geographic et l’Université de Stanford. Vous allez y entendre les explications de l’éminent professeur Robert Sapolsky, vous allez tout comprendre.
Tombée du rideau….Voyez-vous comment une pièce de théâtre météorologique peut passer du comique au tragique, en trois actes sociologiques?
Au final, je suppose que la leçon à tirer c’est qu’on a besoin de se reconnecter avec le « nous ». Parfois ce sont les grandes tragédies de l’Homme qui nous unissent, comme un 11 septembre, des gâchettes bioniques, ou un cocktail pétrochimique à Mégantic. D’autres fois, c’est mère nature qui régale et force le nous solidaire, avec ses crises du verglas, ses inondations ou ses chaleurs indécentes. Qu’importe, le constat demeure : la vie est précieuse et ces événements sont des enseignants qui servent à arrêter le temps, en nous forçant à prendre un moment pour s’unir et s’apprécier, collectivement.