État d’urgence
par Jean-Claude Tremblay
jctremblayinc@gmail.com
Marc et moi étions attablés au Gusto, en train de discuter travail lorsque ses yeux se sont brusquement levés : c’était l’état d’urgence qui venait d’être déclarée à la télé : en boucle le réseau de la peur nous montrait les sinistrés, nouvelles coqueluches qu’on utilise pour vendre de la publicité.
« La rivière est déchaînée, ici c’est la terreur constante, nous allons tenter de parler à une des victimes pour avoir ses impressions… Alors madame, comment vous vous sentez maintenant que votre maison est complètement inondée? », demanda de manière théâtrale le reporter digne d’une grande chaîne à sensations « made in USA ».
Quand la nouvelle devient OGM
Cent-vingt municipalités touchées, des milliers d’évacués, une quarantaine de routes fermées, des ponts menacés, ce sont des faits. Mais la présentation de ces faits, le ton, la manière et l’angle par lequel nous allons les aborder, c’est toujours un choix éditorial délibéré, il ne faut jamais l’oublier.
Est-ce que la situation est grave ? Certes. Est-ce que la surexposition des événements exacerbe la réalité et conduit tout droit vers une forme d’aliénation collective ? Assurément. Ça joue dans la tête… et dans le cœur, de se faire dire 24/7 sur tous les réseaux que ça va mal et que le monde est en train de s’écrouler. Tout comme les légumes, les nouvelles sont devenues des organismes génétiquement modifiés par l’intervention humaine. Elles sont ultra-transformées et tellement magnifiées que le peuple se fait souvent embarquer dans une psychose artificiellement créée.
Réponse politique exemplaire
Coup de torchon aux opportunistes, heureusement peu nombreux, venus se montrer devant les caméras, le temps de remplir un sac de sable et de prendre des selfies. Je salue nos élus, les ministres et députés québécois se montrent présents et solides, et que dire des élus locaux qui jouent aux héros. De la mairesse de Piedmont au maire de Prévost, ils ont été nombreux à se tenir debout aux côtés de leurs citoyens, communiquant proactivement les dernières nouvelles, de manière responsable, et humaine – un vrai vent d’air chaud pour faire sécher tout ce trop-plein d’eau.
C’est dans les moments difficiles que les leaders doivent se lever, et l’histoire saura reconnaître ceux qui ont tant fait pour informer et veiller sur leur communauté. Aux employés municipaux et provinciaux, aux nombreux services d’urgences ainsi qu’aux organismes et citoyens impliqués qui encore aujourd’hui font preuve de générosité : je vous dis merci et chapeau!
Inondations : la pointe du glacier
Je ne pourrais conclure ma chronique sans parler de l’éléphant dans la pièce. Le sable est peut-être sur la sellette ces temps-ci, mais ce n’est pas une raison pour se mette la tête dedans. Nous n’allons pas dans la bonne direction sur le plan environnemental et nous en sommes responsables. Je suis toujours troublé d’entendre des discours « des deux côtés de la bouche », comme un Premier ministre qui déclare : « Il faut penser à comment on va s’adapter aux nouvelles réalités climatiques qui engendrent ce genre d’inondations. » Celui qui a fait cette déclaration, c’est le même individu qui, en 2018, avait décidé d’acheter le pipeline de pétrole Trans Mountain de l’entreprise américaine Kinder Morgan, pour la modique somme de 4,5 milliards de dollars, financé à même nos taxes.
C’est bien beau d’inviter les touristes à traîner leurs sacs lorsqu’ils viennent dépenser leur argent chez nous, mais comme vous le voyez, le problème est éminemment plus grave. L’effort de tous les citoyens, combiné au courage politique, sera nécessaire si l’on veut espérer que les générations futures puissent subsister.
« La terre est ma patrie et l’humanité, ma famille », a dit Khalil Gibran. Avec tout ce que j’observe, je ne peux qu’être malgré tout très fier de l’humain aujourd’hui qui démontre hors de tout doute sa résilience, transformant ces inondations en opportunité pour démontrer sa solidarité, son sens de l’entraide et ultimement, sa grande beauté.