Enfants handicapés: Illusoire, l’inclusion?
Par nathalie-deraspe
Pendant qu’une majorité des enfants de la région fréquentent l’école, ceux et celles qui nécessitent plus que quiconque d’être stimulés, intellectuellement parlant, en sont trop souvent écartés.
En 2005, le ministère de l’Éducation, des loisirs et du sport, citait les travaux de Nancy Heath, professeure en psychoéducation à l’Université McGill qui, avec une équipe de chercheurs, avait évalué les bienfaits d’un modèle de services offerts aux écoles et aux familles dans le but de faciliter l’intégration en classes régulières des élèves présentant des difficultés. Malgré qu’il présente de nombreux avantages, l’enseignante a conclu alors que l’objectif d’inclusion visé était difficilement réalisable dans le système scolaire actuel. Cinq ans plus tard, les choses n’ont pas beaucoup évolué.
L’article 1 de la Loi sur l’instruction publique prévoit pourtant que «Toute personne a droit au service de l’éducation préscolaire et aux services d’enseignements primaire et secondaire». Dans le cadre des programmes offerts par les commissions scolaires, l’élève a également droit aux autres services éducatifs (complémentaires et particuliers). Le service d’éducation n’est pas seulement un droit, c’est une obligation. Or, bon nombre d’enfants atteints de troubles envahissants du développement (TED) ne fréquentent pas l’école ou si peu. En région, la situation semble catastrophique. La loi ne s’applique-t-elle pas à tous?
Question d’argent ou d’approche?
Quelques coups de fil suffisent pour constater que tous les organismes qui viennent en aide aux enfants handicapés et à leurs familles souffrent de sous-financement chronique. Ils sont 28 dans la région. La plupart ont été fondés par des parents soucieux de se regrouper pour mettre leurs forces en commun.
À la Société d’autisme des Laurentides, le directeur général Jean-Pierre Leboeuf affirme qu’il consacre 60 à 70% de son temps à la recherche de financement. «La ville de Québec reçoit trois fois notre budget et pourtant, on dessert à peu près la même clientèle.» L’organisme réussit malgré tout à offrir du répit à plus de 56 familles et compte désormais deux maisons d’hébergement. Mais compte tenu de la situation, la défense des droits passe bien souvent au dernier rang des priorités. Les familles doivent alors s’en remettre au Commissaire local aux plaintes. «Le Flores a le même problème que nous, insiste M. Leboeuf. On n’a pas de personnel. Sur un budget de 800 000$ par an, le gouvernement nous en donne 175 000$.»
La directrice générale de la Fédération québécoise de l’autisme et autres troubles envahissants du développement (FQATED), Jo-Ann Lauzon, soutient pour sa part que le débat sur l’inclusion est fortement remis en question. «C’est une bataille continuelle. Les gens disent: on fait des petits groupes. Pour moi, c’est plus des services de garde qu’autre chose. Et ceux qui sont dans une école spéciale ne seront pas diplômés. Pourtant, on sait qu’il y a des autistes extrêmement doués.»
La directrice de la FQATED souligne le cas de Brigitte Harrisson, une autiste de haut niveau, auteure d’un livre, et consultante et formatrice auprès de cette clientèle type.
Multiplier les plaintes
Même si elle se fit en faveur de l’inclusion, Jo-Ann Lauzon précise que l’enfant peut être soumis à un stress considérable si toutes les conditions nécessaires à son intégration ne sont pas réunies. «Dans les classes d’aujourd’hui, il y a tellement d’enfants à problèmes que les premiers à sortir sont les autistes et les déficients. Il faut partir en guerre. Le système de plainte en éducation, c’est le plus compliqué qui soit. Il faut aller voir le directeur, puis le commissaire, puis le député. Ça prend des années avant d’obtenir gain de cause. Espérons que le Protecteur de l’élève va améliorer les choses.»
L’Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées (AQRIPH) prône également une approche intégrative inclusive. «Toute personne handicapée est titulaire de tous les droits reconnus à toutes les autres personnes dans la société par la Charte des droits et libertés de la personne et l’ensemble de la législation québécoise », rappelle l’organisme. Cela implique notamment le droit à l’intégration sociale, scolaire et professionnelle. Mais d’importantes lacunes subsistent dans les régions éloignées et périphériques comme la nôtre : manque criant de ressources spécialisées, délais sont souvent trop longs entre le diagnostic et la prestation des services. Le diagnostic lui-même tarde trop souvent à être posé, ce qui prive la personne et sa famille de certains services essentiels. Sans compter le vide à combler lors des moments de transition (de l’adolescence à l’âge adulte, par exemple) et tout au long de la vie des personnes handicapées. Plusieurs personnes songent à porter plainte mais craignent les représailles et la perte des services. Pourtant, certains milieux de garde ou commissions scolaire refuser l’accès à leurs services sur des bases discriminatoires. Bien que la loi se prononce en faveur de l’intégration scolaire, l’organisation des services demeure à la discrétion des commissions scolaires. L’élaboration et le suivi cohérent des plans d’intervention ne sont pas une pratique courante dans toutes les écoles, les façons de faire sont inégales, et l’AQRIPH note que tant dans les écoles et les classes spéciales que dans le milieu ordinaire, le manque de services de soutien demeure un problème criant. À bien des égards, le manque de ressources est la cause première de la non-intégration des élèves en classe ordinaire et de leur échec, déplore l’organisme.
Au bord du suicide
Vous vous rappelez cette mère d’enfants handicapés de Morin-Heights? Il y a quelques semaines, au bord de la crise de nerfs, celle-ci a lancé des appels au secours. Une de ses amies venait de se trancher la gorge. Son adolescente autiste a déambulé trois jours dans une maison baignée du sang de sa mère avant que des proches ne découvrent le cadavre. C’était la troisième mère de famille qu’elle connaissait qui mettait fin à ses jours. «Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas pensé à mes enfants. Je voulais juste mourir.» Pamela Feres a survécu. Elle a su que son fils Jezeriah pourra fréquenter l’école deux jours par semaine, peut-être même trois et ce, malgré son handicap. «Le milieu scolaire, c’est une chasse-gardée. Même l’Office des personnes handicapées se fait claquer la porte au nez. Que voulez-vous, on n’est pas à la mode, ironise Nathalie Blais, directrice du Regroupement pour la concertation des personnes handicapées des Laurentides. Là, c’est le cancer. On oublie que nous-mêmes ont pourrait devenir handicapé. Le cancer lui, est inclusif.»