Entrevue avec Kathy Poulin : Les réseaux sociaux, l’opposition et la démocratie
En route vers les élections municipales
Des élus municipaux choisissent de ne pas briguer un nouveau mandat, épuisés d’encaisser de la haine quotidiennement. François Legault dénonce les « pissous virtuels » qui intimident et insultent sous ses publications. Le ministre Steven Guilbeault s’apprête à déposer un projet de loi fédéral pour encadrer le contenu haineux sur le web.
L’association entre l’intimidation sur les réseaux sociaux et la politique est de plus en plus évidente. Le sujet fait couler beaucoup d’encre et suscite de vives réactions. Dans les prochaines semaines, nous nous intéresserons à ce phénomène et ses impacts sur les êtres humains derrière les politiciens. À l’aube des élections municipales, cette tendance minera-t-elle la démocratie?
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Kathy Poulin, mairesse de Val-David, utilise Facebook pour rejoindre sa population. Bien qu’elle reçoive une plus grande quantité de commentaires dans les derniers mois, elle admet être privilégiée : autant sur sa page de mairesse que sur la page de la municipalité, la majorité des commentaires sont respectueux et constructifs.
Kathy Poulin remarque des situations déplorables sur les réseaux sociaux et pour lesquelles elle a beaucoup d’empathie. Alors qu’elle participait à un panel de l’UMQ sur « Les débats à l’ère de la polarisation », elle a été surprise de constater que de nombreux élus municipaux avaient choisi de ne plus avoir de page Facebook.
Multiplier les canaux et les responsabilités
Pour ces élus, la balance entre les bienfaits et les méfaits des plateformes virtuelles s’est avérée plus négative que positive. Kathy Poulin peut le comprendre. Outre la critique, il y a aussi la vie privée. « Les gens m’écrivent sur Facebook comme si j’étais leur amie! », confie la mairesse. Dans un sens, ces plateformes permettent de multiplier les canaux de communication, mais elles deviennent aussi une charge supplémentaire. Dans une municipalité comme Val-David, la mairesse gère elle-même ses publications. Des villes plus populeuses possèdent souvent un cabinet et des professionnels en relation publique.
« C’est rendu que nous devons être des professionnels de la communication », illustre Kathy Poulin. D’autant plus que chaque mot publié est analysé. « De plus en plus, je comprends la langue de bois. En disant une chose en quelques mots, on ne peut plus rien se faire reprocher. Mais ça fait aussi en sorte qu’on ne dit plus rien. »
Balance entre vie privée et accessibilité
Les politiciens se retrouvent ainsi confrontés au paradoxe des médias sociaux : ceux-ci leur permettent d’atteindre une plus grande proportion de la population et d’humaniser leur image. D’autre part, cette exposition peut leur attirer des critiques ou nuire à leur vie privée. Comment s’en sortir?
Kathy Poulin prêche un équilibre sain entre l’ouverture à la communauté et la protection émotive. Il faut aussi « réhabiliter la vocation d’élu » et mieux comprendre ce que le rôle implique. Surtout qu’il est bien singulier dans les petites municipalités.
« Nous sommes des citoyens comme tout le monde. » La mairesse parle même de ce qu’elle appelle le « test de l’épicerie » pour mesurer la réception des citoyens vis-à-vis ses décisions. Lorsqu’une de celles-ci est impopulaire, aller à l’épicerie devient « lourd ».
L’opposition et la démocratie
Nous l’avons compris dans la dernière année : la critique fuse envers les politiciens, à un tel point que certains repensent leur choix de carrière. Cette même critique, on la retrouve aussi entre les politiciens et encore plus abondamment lors d’élections. En démocratie, il arrive qu’on ait à rabaisser l’autre pour s’élever. Est-ce que cette dynamique pourrait expliquer pourquoi certains trouvent légitime de commenter des insultes sans remords sur les réseaux sociaux? Kathy Poulin reconnait que ça puisse être nuisible, autant chez la population que pour la municipalité.
« L’opposition, c’est son rôle de diminuer les bons coups des politiciens. Notre démocratie est faite comme ça, mais ça n’aide pas qu’on soit davantage dans les débats et la polarisation que dans l’avancement des projets. »
Justement, la mairesse salue certaines initiatives transpartisanes réalisées au pallier provincial. Elle pense à toute la question entourant l’aide médicale à mourir. « Les partis ont différents programmes et différentes valeurs, mais quand tout le monde doit travailler ensemble et trouver des compromis, ça donne des résultats qui prennent en compte plusieurs éléments et différentes opinions. »
Dans un tel contexte, comment devrait-on définir l’opposition pour que son rôle demeure sain et efficace? Encore une fois, il s’agit de trouver l’équilibre. Pour Kathy Poulin, l’opposition se doit de questionner et de proposer des manières d’enrichir le travail accompli. Elle a un rôle de chien de garde, mais dans une certaine limite. La mairesse donne l’exemple des demandes d’accès à l’information dans de petites municipalités comme Val-David. « Je ne sais pas jusqu’à quel point c’est justifié, par exemple, que chaque dossier, chaque décision soient analysés par des citoyens qui se donnent le rôle de chien de garde. » Surtout considérant que les ressources sont limitées et que de telles démarches ralentissent le processus.
On se prive d’une richesse de candidats
L’opposition citoyenne peut aussi nuire à la démocratie lorsqu’elle prend des formes haineuses envers les candidats. C’est ce que croit Kathy Poulin. Déjà qu’il n’est pas simple de recruter des élus municipaux, c’est encore plus difficile lorsque leur rôle n’est pas reconnu, valorisé et respecté. « On ne voudrait pas faire votre travail. » C’est le commentaire que la mairesse de Val-David reçoit le plus souvent. « Il y a très peu de gens qui perçoivent ça comme étant positif, être un élu, parce qu’on se fait constamment critiquer. On ne devrait pas avoir besoin d’avoir la couenne dure pour faire de la politique. Ça fait en sorte que plusieurs personnes n’en font pas. On se prive de citoyens extraordinaires! »
Un autre commentaire que reçoit souvent Kathy Poulin, c’est qu’on la sent humaine et soucieuse du bien-être de sa population. Elle confie que ces qualités viennent avec une grande sensibilité. « Je suis une personne très sensible, très émotive. Donc je ne suis pas de glace par rapport aux commentaires haineux, ça me touche énormément. » Kathy Poulin a souvent entendu raconter qu’un élu doit s’endurcir et qu’il développerait éventuellement une carapace pour repousser les critiques. La mairesse croit plutôt que c’est en demeurant ouvert, fidèle à soi-même et à l’écoute, qu’on prend les meilleures décisions et qu’on est un élu efficace.
Cette sensibilité, c’est ce qui rend possible les qualités qu’on lui salue, mais il s’agit aussi d’un trait qui rend les politiciens plus vulnérables à la haine.
2 commentaires
Rien de solide n’est dit. C’est une chose et son contraire dans la même phrase. C’est du sable qui coule entre les doigts. Si elle répondait aux questions des citoyens, ils n’auraient pas besoin de faire des demandes d’accès à l’information. Cependant, les électeurs : les électeurs ne mettent pas en doute sa sensibilité mais préfèrent l’efficacité.
Marie Hébert
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Désolée, la première adresse n’est pas la bonne.