(Photo : NORDY )
« Je suis jugé immédiatement avec mes tatous, les gens ont peur. Mais je ne suis pas comme ça, je suis un bon garçon », affirme Sylvain.

« J’ai peur de retourner dans la rue »

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Sylvain a 59 ans. Il est sorti de la rue depuis maintenant deux ans. Pendant trois années et demie, il a vécu « l’enfer » à Montréal, à Sainte-Thérèse, à Boisbriand, puis à Saint-Jérôme. Du jour au lendemain, sa conjointe et lui ont tout perdu et se sont retrouvés en situation d’itinérance.

À l’époque, il consommait beaucoup « pour survire à la nuit », et il dormait régulière-ment dans des containers. « Parfois, on ne mangeait pas pendant quatre ou cinq jours. Tu deviens tellement faible. » Il pleurait souvent. On riait de lui, il se faisait juger et cracher dessus. « Pendant un certain temps, j’ai voulu mourir », confie-t-il.

Heureusement, aujourd’hui, Sylvain a repris l’envie de vivre. Il revisite plusieurs de ses souvenirs, certes avec beaucoup d’émotions, mais aussi avec quelques touches d’humour, qui laissent présager un nouveau départ. Chaque fois qu’il fait mention de sa conjointe, son regard traduit un large sourire que son masque nous empêche de voir.

Sortir de la rue

Lorsqu’il a eu un logement à Sainte-Thérèse, Sylvain a dormi sur la galerie pendant plusieurs mois, incapable de s’endormir à l’intérieur. Il continue de travailler sur lui-même pour reprendre de bonnes habitudes et effacer tranquillement les séquelles que lui ont laissées la rue. Bien qu’il soit en appartement depuis plus de deux ans – aujourd’hui à Saint-Jérôme – il vit avec la peur constante de retourner dans la rue. « Si j’y retournais, je ne crois pas que je survivrais cette fois-ci. »

Il se fait un devoir de suivre le droit chemin pour reprendre les rênes de sa vie, même si ça demeure extrêmement difficile, surtout dans le contexte actuel. Sylvain avait l’habitude de faire une tournée vers 19h30 pour ramasser des canettes, un rituel rendu impossible avec le couvre-feu. Parfois, il allait aussi récupérer de la nourriture, jetée dans des containers de dépanneurs.

Un homme au cœur immense

Le plus douloureux pour Sylvain a toujours été les regards condescendants et les remarques haineuses. « Dans la rue, personne ne s’approche de moi. Je suis jugé immédiatement avec mes tatous, les gens ont peur. Mais je ne suis pas comme ça, je suis un bon garçon. » Il a pourtant un cœur immense et malgré sa propre situation, il essaie constamment d’aider les autres autour de lui.

Preuve de son empathie débordante, ce n’est pas sa propre détresse qui l’émeut le plus, mais celle d’autrui. Ses yeux s’embuent chaque fois qu’il parle de la pauvreté dont il témoigne à Saint-Jérôme. L’injustice vient énormément le chercher. Il ne peut pas croire qu’en 2021, on laisse encore des gens dormir dehors la nuit. « Ce n’est pas humain », déplore-t-il.

Changer la perception

Jean Létourneau est travailleur de rue à Saint-Jérôme pour l’Écluse des Laurentides. Il connait Sylvain depuis cinq ans et l’accompagne dans son cheminement. Selon lui, la COVID-19 a mis en lumière un phénomène qui, malgré sa longévité, demeure encore incompris. De sa perspective, l’itinérance ne se résume pas uniquement à un manque de logement. Il s’agirait plutôt d’un « symptôme social » de tout ce qui n’a pas été fait, ou qui est survenu dans la vie de certains individus. Jean Létourneau témoigne d’un besoin criant de mieux se connaître et remettre de l’avant la communication et l’empathie.

Un changement de mentalité doit s’opérer. « Je dis toujours la même chose : C’est la fille de quelqu’un. C’est la sœur de quelqu’un », affirme pour sa part Rachel Lapierre. « Comme collectivité, on devrait tous se sentir concernés. […] La journée où nous serons plus conscients et plus tolérants, que nous allons aider notre prochain, nous réussirons à trouver des solutions tous ensemble. »

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