La forêt

Par nathalie-deraspe

gérée comme un tiroir-caisse

Les riverains du lac du Rocher, situé à Val-des-Lacs, ont récemment manifesté leur

inquiétude face aux coupes de bois effectuées dans un milieu humide avoisinant leurs résidences. Accès a appris après enquête que le ministère des Ressources naturelles et de la faune (MNRF) n’effectue aucune étude d’impact sur le milieu avant d’offrir les terres de la Couronne aux forestiers. Une pratique qui aide à garnir les coffres de l’État depuis des décennies.
À Saint-Donat, une pléiade d’intervenants, du député au maire, en passant par les associations de lacs, ont réussi à faire bouger les choses. Selon le président de l’Association des propriétaires du lac Sylvère (APSIL), Gilles

Bilodeau, l’intervention des médias nationaux lors d’une manifestation monstre regroupant plus de 800 personnes, n’est pas étrangère
à la réduction de la superficie des coupes

projetées. À peine plus d’une dizaine des 112 hectares envisagés sont passé sous la tronçon­neuse.

L’ingénieur forestier Guilhem Coulombe, dirige les opérations forestières de la scierie Jean Riopel, en charge des coupes dans les deux secteurs. «Il s’agit de deux bassins versants très importants situés en milieu de villégiature. Le ministère a établi des plans de coupe, mais en se rendant sur place, on s’est rendu compte qu’il y avait des secteurs où c’était impossible à couper. Le territoire était trop montagneux.» Celui-ci

a même indiqué dans un courriel que le sol était mince et le lac, proche. Son patron

Luc DesRoches confirme. «Sur une carte, dans un bureau à Québec, c’est bien beau. Mais sur le terrain, c’est autre chose.»

Deux discours

Les fonctionnaires seraient-ils déconnectés de la réalité? Les Kruger et Abitibi-Bowater de

ce monde se préoccuperait-il de ces erreurs

de parcours qui peuvent mettre en péril les écosystèmes? «La forêt rapporte beaucoup au gouvernement, poursuit M. Coulombe. Et là, c’est plus dur. Il ne se coupe plus autant de bois qu’avant.»

Dans un rapport du ministère du Développement durable, de l’environnement et des parcs (MDDEP) daté du 22 août 1996, on fait mention d’un milieu humide au sud du lac du

Rocher «qui mériterait d’être protégé». Le biologiste Rhéal Boucher recommandait même de prendre des mesures afin «d’éviter tout déboisement futur» dans ce secteur d’environ un

kilomètre carré «déboisé ici et là». La coupe de bois avait commencé, «surtout en montagne». Il aura fallu 5 ans avant que l’Association des propriétaires du lac du Rocher en obtienne une copie. Un délai qui aura permis de raser plusieurs hectares entre-temps. La pluie de courrier et la multiplication des rencontres avec les fonctionnaires n’a donné aucun résultat. Deux demandes de moratoire ont également été rejetées. Qui plus est, le groupe s’est fait répondre que les disponibilités financières du MNRF ne lui permettait pas de faire une cartographie écologique (sic). «Tout le monde se lance la balle, dénonce Hélène Prud’homme. À chaque fois qu’on pose une question claire, on nous répond de façon évasive et ça dure depuis 1995.» Les deux groupes ont pourtant mis tout en œuvre pour préserver leur habitat. L’un en reboisant massivement la rive
(662 mètres en un an) et l’autre en établissant un réseau de sentiers de ski de fond de 5 kilomètres dans le but de protéger le maximum de territoire.

Au ministère des Ressources naturelles et de la faune (MNRF), on s’entête à marteler que les données n’indiquent pas de milieu humide. «Au lac Sylvère, on a gagné une grosse bataille mais ça nous a coûté 15 000$ en études, indique Gilles Bilodeau. Ni le MDDEP, ni le MRNF, ni la MRC, ni la municipalité, étaient capables de nous dire les impacts sur le lac. Ils ne tiennent même pas compte des résidences quand ils font les plans. Du même coup, le

gouvernement nous demande de reboiser la rive. C’est irresponsable et non-acceptable.»

Du bois FSC

Guilhem Coulombe admet qu’il y a peut-être eu des ratés par le passé. Mais la scierie Riopel est désormais en voie d’obtenir une accréditation environnementale internationale (FSC) en matière de gestion de la forêt (voir encadré). «Le ministère est pris dans un carcan de fonctionnaires. Nous on habite le milieu et on a tout intérêt à faire du bon travail.» La Table de gestion mise sur pied cet automne à Saint-Donat irait dans ce sens. Gilles Bilodeau confirme les efforts récents de l’entreprise. «C’est le jour et la nuit si on compare avec les coupes d’avant.»

Le président du Réseau québécois des groupes écologistes du Québec, Yvan Croteau, considère que le régime forestier établi en 1996 a toujours privilégié les géants de l’industrie. «Il faut la participation citoyenne à l’élaboration et au suivi des plans de coupe.» Le milieu municipal n’en pense pas moins. La Fédération québécoise des municipalités préconise la gestion des forêts de proximité, une solution endossée dans son mémoire présenté lors du Sommet de décembre 2007 sur la question. «Le drame du futur régime forestier serait qu’encore une fois le gouvernement, sous prétexte de crise économique, ne veuille pas se donner les moyens de sa réforme : c’est le danger qui nous guette. Autrement dit, il faut cette fois-ci éviter de retomber dans la tradition des réformes structurelles qui délèguent des responsabilités gouvernementales sans que les ressources et les expertises exigées suivent», peut-on lire sur Silva libera, un blogue administré par Vincent Gerardin et François Brassard, respectivement écologue et ingénieur forestier.

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