(Photo : Courtoisie - Abrinord)
Dans les Laurentides, plus de 800 barrages sont répertoriés sur le site officiel du ministère de l’Environnement.

La gestion des barrages se complexifie dans les Laurentides

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Dans les Laurentides, plus de 800 barrages sont répertoriés sur le site officiel du ministère de l’Environnement. La gestion des barrages est un enjeu extrêmement complexe qui préoccupe de plus en plus les municipalités et leur population, les organisations concernées et les riverains.

Aujourd’hui, plusieurs barrages deviennent désuets et nécessitent une prise en charge importante. Doit-on démanteler un barrage et perdre un lac, ou le restaurer malgré des coûts significatifs ? La gestion des barrages soulève plusieurs questions d’ordre social, environnemental et financier. On démêle tout ça pour vous.

Un fardeau légal et financier

Au Québec, environ 10 000 barrages ont été construits à travers le temps, pour différentes raisons : produire de l’énergie grâce à l’hydro-électricité, prévenir les inondations, former un réservoir d’eau potable ou une réserve d’eau pour les incendies, etc. Plusieurs barrages ont également été implantés pour créer des lacs artificiels et favoriser la pratique d’activités récréatives et de villégiature. Dans les Laurentides, la grande majorité des barrages répertoriés sont justement d’usage récréatif.

Peu importe l’utilisation qu’on en fait, il existe trois types de barrage : à forte contenance, à faible contenance et des petits barrages. Les barrages sont catégorisés en fonction de deux critères : la hauteur et la capacité de retenue. Dans les Laurentides, près de 200 barrages à forte contenance sont répertoriés. Ce type d’ouvrage comporte le plus de risques. Conséquemment, les responsabilités sont plus grandes.

Les propriétaires de barrages à forte contenance sont donc soumis à plusieurs obligations. Notamment, ils doivent assurer une surveillance et un entretien réguliers de leurs ouvrages, produire des plans de mesure d’urgence et un plan de gestion des eaux retenues, et faire évaluer par un ingénieur la sécurité de leurs ouvrages. Or, l’encadrement n’a pas toujours été aussi rigide. La Loi sur la sécurité des barrages est entrée en vigueur uniquement en 2002, bien que la majorité des barrages aient été aménagés bien avant. Les règles ont changé et les gestionnaires se retrouvent maintenant avec un fardeau légal et financier entre les mains.

La majorité des barrages dans les Laurentides sont d’usage récréatif. Le lac Loiselle, à Sainte-Anne-des-Lacs, est artificiel, par exemple. Sa présence dépend d’un barrage.

Les temps ont changé

L’organisme de bassin versant de la rivière du Nord, Abrinord, étudie la question des barrages depuis maintenant quelques années. « C’est une problématique beaucoup plus complexe qu’on le pensait au départ », affirme Cynthia Gagnière, coordonnatrice chez Abrinord. Depuis 2020 surtout, des gestionnaires de barrages et des acteurs de l’eau manifestent leurs inquiétudes à l’organisme. « On a commencé à recevoir de plus en plus d’appels et de courriels d’associations ou de propriétaires de barrages. Ils se questionnaient sur comment faire les choses », explique Mme Gagnière. En novembre 2022, Abrinord a tenu un premier atelier de concertation sur le sujet. Celui-ci a rassemblé plus d’une soixantaine de participants. Une trentaine de gestionnaires de barrages ainsi qu’une cinquantaine d’usagers ont également rempli un sondage.

Sur son territoire, qui couvre le centre et le sud des Laurentides, Abrinord recense 465 barrages d’un mètre et plus. Plus de 50 % d’entre eux ont été construits entre 1960 et 1980. Cette donnée est importante pour comprendre les préoccupations actuelles, souligne la coordonnatrice de l’organisme. À l’époque, on témoigne d’une « explosion » dans la construction de ces ouvrages, alors que la Loi sur la sécurité des barrages n’existe pas encore et que les responsabilités sont moins grandes. « Monsieur et madame tout le monde mettait tout simplement en place un barrage », indique Cynthia Gagnière. « Mais rendu en 2023, ces barrages ont 50 ou 60 ans et ils n’ont pas nécessairement été entretenus. De grosses réparations sont parfois nécessaires pour les conserver. De plus en plus de personnes nous contactent, pour savoir s’il existe du financement », complète la coordonnatrice.

Selon la nature des travaux à réaliser et des caractéristiques du barrage, sa réfection ou son remplacement peut coûter plusieurs dizaines de milliers de dollars. Ça peut aller jusqu’à des millions, précise Richard Carignan, collaborateur avec le CRE Laurentides et professeur à l’Université de Montréal au Département des sciences biologiques. « Dans la majorité des cas, le gestionnaire ou le mandataire ne peut pas payer ça », ajoute-t-il. Aujourd’hui, posséder un barrage n’a plus la même signification qu’il y a quelques décennies.

Qui possède les barrages ?

Parmi les 465 barrages répertoriés sur le territoire d’Abrinord, 80 % d’entre eux sont détenus par un propriétaire privé, alors que 20 % sont détenus par le gouvernement ou les municipalités.

« Les conseils municipaux sont plus vigilants », affirme Catherine Hamé Mulcair au sujet de l’acquisition de barrages.

Pour les municipalités aussi, les temps ont changé. « À une époque, ça ne faisait rien aux municipalités d’accepter la propriété de certains barrages », affirme la mairesse de Sainte-Anne-des-Lacs, Catherine Hamé Mulcair. Ce n’était pas très couteux et les exigences étaient moindres. Aujourd’hui, Sainte-Anne-des-Lacs possède 10 barrages sur son territoire, acquis à travers les années. « Maintenant, les conseils municipaux sont plus vigilants », précise la mairesse.

De plus en plus, des citoyens approchent la Municipalité dans l’espoir qu’elle acquière leur barrage. « La réponse est non, je ne fais même pas descendre ça à mon conseil municipal », affirme Mme Hamé Mulcair. « Ils sont préoccupés par l’état du barrage, les lois ont changé, le Ministère leur demande des comptes. Et les études de sécurité, ça coûte une fortune, donc les citoyens n’en veulent pas. Ils cherchent à s’en défaire et c’est comme ça que les biens deviennent abandonnés. »

En effet, il existe des barrages orphelins, c’est-à-dire qu’ils n’appartiennent à personne. Le barrage du lac Caron à Sainte-Anne-des-Lacs, par exemple, a été abandonné par son propriétaire. À Morin-Heights, la Municipalité possède 7 des 27 barrages sur son territoire. Parmi ceux-ci, quatre ou cinq sont orphelins, affirme le directeur général, Hugo Lépine. Quand ça arrive, ces ouvrages se retrouvent sous la responsabilité de l’Agence du Revenu du Québec.

Le lac Caron, à Sainte-Anne-des-Lacs, possède un barrage orphelin.

« C’est le désordre »

Et même si les municipalités avaient tout le financement nécessaire pour assurer la gestion des barrages, il manque aussi de main-d’œuvre pour procéder aux études et aux travaux. « Les compagnies sont débordées, et ceux qui font de la surveillance aussi », souligne la mairesse de Sainte-Anne-des-Lacs.

Les barrages ne sont même pas tous répertoriés sur le site du ministère de l’Environnement. Selon Abrinord, un bon nombre de barrages ne s’y retrouvent pas. « Ce ne sont pas tous les gestionnaires de barrages qui connaissent le répertoire. Ce n’est donc pas tout le monde qui entre les informations dans celui-ci. Et au niveau du Ministère, ils n’ont peut-être pas les ressources nécessaires pour effectuer cette mise à jour », soutient Cynthia Gagnière.

Lorsque Richard Carignan consulte le répertoire officiel des barrages, il remarque que plusieurs études dues il y a quelques années n’ont pas été réalisées. Même que selon lui, certains barrages ne sont pas bien classifiés. « Il y a pas mal de désordre. Ils sont pris avec un méchant problème et je ne sais pas s’ils ont la main-d’œuvre pour bien s’en occuper », s’inquiète-t-il.


Du financement accessible, mais insuffisant

Le Programme d’aide financière à la mise aux normes de barrages municipaux (PAFMAN) s’adresse aux municipalités de 50 000 habitants ou moins qui possèdent au moins un barrage à forte contenance. Ce programme touche deux volets. D’abord, il peut rembourser 66 % des dépenses pour la réalisation d’une étude d’évaluation de la sécurité du barrage (ESS), jusqu’à concurrence de 30 000 $. Le second volet permet de rembourser 66 % des dépenses pour la réalisation de travaux correctifs découlant d’une ESS, jusqu’à concurrence de 500 000 $. Des subventions sont donc accessibles, mais les demandes doivent se faire une fois les travaux complétés. Les coûts totaux doivent donc être inclus dans la planification budgétaire des municipalités.

Récemment, Sainte-Anne-des-Lacs a déposé quatre avis de motion visant la réalisation d’une étude d’évaluation de la sécurité de quatre barrages que possède la Municipalité : le barrage Johanne, le barrage Colette, le barrage Suzanne et le barrage Loiselle. L’estimation des coûts pour la réalisation de chacune de ces études est respectivement de 72 000 $, 57 000$, 67 000$ et 68 000$.

1 commentaire

  1. Madame la mairesse veut faire payer les riverains de ces lacs. Ce sont de minuscules lacs, pratiquement des étangs et les riverains devraient payer 70000$, ça fait 10k juste pour une étude.

    Je sais pas si elle est prête pour la guerre qu’elle va provoquer.l, ça va pas être beau.

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