Le cégep perd un homme de vision…
Par nathalie-deraspe
Robert Ducharme prend sa retraite
Robert Ducharme prend sa retraite de la fonction publique. «Ce départ n’est pas seulement une perte pour l’établissement de Saint-Jérôme, mais pour toute la sphère de l’éducation québécoise», a déclaré le directeur-général Serge Tessier.
Le président de la Commission des affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps et directeur des études à Saint-Jérôme n’aura manqué que les cinq premières années de vie des cégeps. En 35 ans, Robert Ducharme est passé d’étudiant à employé de soutien, professeur, professionnel, cadre coordonnateur, adjoint au directeur des études, directeur des études et directeur général par intérim. Un parcours unique, pour un homme tout aussi particulier.
«Il y a 40 ans, 5% de la population avait accès aux études supérieures, rappelle-t-il. Aujourd’hui, c’est neuf fois plus.» Une donnée qu’il ressasse avec satisfaction pour nous remémorer tout le chemin parcouru en 40 ans.
En 10 ans de présence à Saint-Jérôme, Robert Ducharme a fait passer le taux de réussite des élèves au-delà de la moyenne nationale, alors que statistiques les classaient année après année, en deçà des normales. Durant la même période, le nombre d’inscriptions passait de 3000 à 4000.
L’élève au cœur des préoccupations
L’ex-enseignant a confié qu’à son arrivée à Saint-Jérôme, il semblait tomber dans un univers où l’attitude féminine primait. Une culture du tact, de délicatesse et d’élégance. Des qualités qu’il alloue volontiers au directeur-général de l’établissement, Serge Tessier, comme au reste de son équipe. «J’ai toujours aimé dire qu’il y a 47 collèges et qu’il y a le cégep de Saint-Jérôme. Ici, plaide-t-il, on argumente beaucoup, mais personne ne hausse le ton. Tout le monde est à la recherche de solutions pour la réussite de l’élève.»
Robert Ducharme aime à résumer son travail en cinq verbes: analyser, comprendre, convaincre, rassembler et agir. Les résultats de cette approche sont probants. Les enseignants ont directement accès aux dossiers des élèves. Une pratique inégalée au niveau collégial. Pendant que d’autres se drapent derrière des principes de confidentialité, le directeur des études argue qu’un professeur sachant les forces et faiblesses de ses jeunes est à même de les soutenir. Et ceux-ci n’échappent pas au processus. Les enseignants sont évalués selon trois volets distincts. Alors que pour certains, cette mesure paraîtrait pour le moins rébarbative, au cégep de Saint-Jérôme, on en redemande. Un récent sondage indique qu’ils seraient 90% à vouloir conserver cette politique. «Ça devient une séance de valorisation extraordinaire», constate Robert Ducharme. Vantant à qui mieux-mieux son équipe, le directeur des études renchérit en indiquant que les professeurs ne ménagent pas leur temps pour seconder leurs nouveaux élèves en français. Des tests préliminaires sont organisés pour s’assurer que ceux-ci aient toutes les chances de réussir l’examen du ministère. Samedi matin, 14 classes étaient bondées d’élèves prêts à se préparer pour l’épreuve.
Un héritage solide
S’il quitte avec le sentiment du devoir accompli, Robert Ducharme est bien conscient que dans le réseau, beaucoup de travail reste à faire. À Saint-Jérôme, 97% des employeurs se disent satisfaits de leurs jeunes diplômés dans les domaines techniques. Mais dans des régions comme Gaspé, Baie Comeau ou Matane, le niveau de services peut difficilement être maintenu faute de clientèle. Une issue toutefois. Celle de former des programmes techniques polyvalents. «Il y a 18 000 PME de la Rivière-des-Milles-Îles à Mont-Laurier, illustre-t-il. Près de 80% de celles-là ont moins de 18 employés. Comment voulez-vous qu’elles embauchent un technicien en bureautique, un autre en informatique et un autre en administration? Pourquoi ne pas créer un DEC qui jumelle les trois formations?»
Robert Ducharme a beau quitter la fonction publique, cela ne l’empêche pas de continuer à réfléchir au monde de l’éducation et aux défis qui l’attendent. Et il faudra bien un jour aborder socialement la question des frais de scolarité, estime-t-il. Dans le contexte de dénatalité actuel, l’État providence ne pourra pas toujours tout assumer. Une expérience au cégep de Saint-Jérôme a démontré qu’un groupe d’élèves qui défrayait les coûts de la formation en informatique a obtenu des résultats diamétralement opposés à ceux qui bénéficiaient de la gratuité. «Quand on paye, on veut en avoir pour son argent», fait-il valoir.
Dans un texte d’opinion intitulé Un chantier national sur la langue, publié dans le journal Le Soleil en novembre 2007, Robert Ducharme écrit: «Ce n’est pas l’usage de mots imprécis et de phrases approximatives qui nous permettra d’énoncer des concepts, des idées qui, eux-mêmes, pourraient nous assurer une place significative sur l’échiquier mondial de l’emploi spécialisé et des défis actuels». Parlant du plan d’action lancé par le MELS après les statistiques alarmantes sur la qualité du français des élèves, Robert Ducharme ajoute: «Il faudra que les familles, les artistes, les communicateurs sociaux, les médias écrits et électroniques, les organisations, les entreprises… soient mis à contribution. Un chantier national sur la langue s’impose, chantier qui devrait viser à ce que tous et toutes participent à l’amélioration de la maîtrise de la langue.» Malgré tout, l’homme demeure optimiste. «En 1890, on n’aurait jamais été en mesure de rêver à ce qu’on a aujourd’hui comme société.»
n