LE JUSTICIER

Par stephane-desjardins

Notre chroniqueur, rédacteur en chef d’un journal financier, s’attaque avec zèle aux débats économiques qui animent la région.

Branle-bas de combat dans les milieux politiques laurentiens. Jusqu’aux chefs de partis politiques et aux ministres qui s’en mêlent: l’Aéroport international de Tremblant est menacé! Un imbroglio entre gratte-papiers fédéraux et entrepreneurs s’est transformé en un véritable débat politique sur l’avenir économique de toute une région!

En fait, le débat cache un malaise encore plus grand, lié à la bureaucratie géante que représente le gouvernement fédéral. Lorsque la société Intrawest s’est lancée dans le développement de la station touristique Tremblant, il y a plus de dix ans, elle a obtenu des millions de dollars de fonds fédéraux et provinciaux pour compléter les infrastructures de ses chantiers.

Dans les notes afférentes aux états financiers consolidés pour l’exercice se terminant le 30 juin 2006, on peut lire qu’Intrawest a obtenu, pour le développement de Tremblant, des prêts de 8,5 millions de dollars (M$) remboursables sur 14 ans à partir de 2001. La société a aussi obtenu des subventions de 52 millions (51 973 000$) des deux ordres de gouvernement. Ce sont les derniers chiffres disponibles, car Intrawest n’est plus une société publique depuis son rachat par la société américaine Fortress Investment Group LLC en 2006.

Selon plusieurs sources crédibles, en inclu-ant la dernière phase de développement (sur le versant Soleil), Ottawa aura injecté jusqu’à maintenant 104,5 M$ en subventions à Tremblant au cours des ans. Québec y est allé d’une contribution de 115,5 M$.

Les gens de Tremblant m’indiquent qu’ils ont reçu la visite de 1,9 M de visiteurs en 2007. Ils m’ont aussi mentionné que les visiteurs des mois d’hiver (de novembre 2006 à avril 2007) représentaient 1 M de personnes. Comme Intrawest n’affiche pas ses résultats financiers ni le nombre de visites ou jours-ski par station, mais uniquement de façon consolidée, il est impossible de déterminer les revenus correspondant à ces visites.

Mais on peut déduire que ce nombre de visiteurs représente des revenus approximatifs d’environ 29,7 M$. Car Intrawest fixe un revenu moyen par visite/ski 29,72$ (avant amortissement, impôts et autres charges) pour l’ensemble de ses stations, toujours selon le rapport annuel 2006. Ces chiffres excluent les revenus tirés de la location ou de la vente de condos. Mais il est raisonnable de croire que ces derniers revenus totalisent à plusieurs dizaines de millions.
Évidemment, prenez mes calculs avec des pincettes, car je n’ai pas accès aux véritables chiffres. Et ce ne sont pas tous les visiteurs qui font du ski, quoiqu’ils doivent représenter une très forte proportion de touristes qui séjournent à la station touristique en hiver. Et rappelez-vous que le nombre de touristes a baissé de 11% en 2006-2007 à cause du conflit de travail.

Quelle est la part des touristes étrangers, ceux qui arrivent notamment par avion à La Macaza, où se situe l’aéroport international? Le président d’Intrawest, Joe Houssian, évaluait l’an dernier à 24% la proportion de visiteurs provenant du Québec. Le solde étant réparti entre Ontariens (30%), Américains (32%) et touristes internationaux (Britanniques, Japonais, etc.). Le Canal Argent publiait, fin septembre 2007, que 13 000 touristes japonais arpentaient les pentes de Tremblant. Les dirigeants d’Intrawest ont déjà déclaré au quotidien Le Devoir qu’une fois les travaux complétés au versant Soleil, les visiteurs provenant des États-Unis représenteront 40% des clients. Et qu’ils généreront des revenus annuels de 650 M$. Une fois le chantier terminé, Intrawest établit les retombées de son développement à 140 M$ par an pour les 20 prochaines années. De l’autre côté, on a un aéroport qui accueille 1000 vols par an provenant des États-Unis, dont un service quotidien entre Newark, en banlieue de New York, durant l’hiver. Ottawa facture 1100$ par vol, qu’il s’agisse d’un avion transportant 30 ou 300 personnes, pour des services de sécurité et de dédouanement. Il s’agirait du seul aéroport au pays à « subir » une telle facturation.

Les dirigeants de l’aéroport ont, jusqu’à maintenant, refusé de payer ces factures, qu’ils considèrent injustifiées. Ce qui leur a valu de se faire saisir les comptes de banque le 14 mai dernier. L’aéroport a répliqué en fermant ses portes. Mais le ministre du Développement économique du Qué-bec, Raymond Bachand, a fait pression sur Ottawa, qui a consenti à suspendre sa créance. Rien n’a filtré depuis sur les discussions entre gouvernements et dirigeants de l’aéroport, qui a rouvert depuis.

N’est-ce pas surprenant de voir un gouvernement qui accorde des centaines de millions de dollars en subventions d’une main, et qui facture 100 000$ de frais de l’autre sans se soucier des conséquences? N’oublions pas qu’un huard à parité avec le billet vert n’a rien pour stimuler nos voisins du sud à prendre l’avion chez nous, alors qu’ils pourraient très bien un vol pour Vale ou Aspen, au lieu de Tremblant.

Rappelons que, pour sauver de l’argent et diminuer la bureaucratie, Ottawa a transféré la gestion des principaux aéroports internationaux du pays à des sociétés privées il y a plus de dix ans. Les administrations aéroportuaires ont tellement été efficaces qu’Ottawa a littéralement fait exploser les baux des aéroports. Ceux-ci sont devenus des vaches à lait pour le gouvernement. L’aéroport de Tremblant n’entre peut-être pas dans cette catégorie. Mais est-ce assez pour justifier l’imposition de frais qui, dit-on, sont inexistants partout ailleurs au pays?

Les pays qui ont des économies solides et prospères appliquent généralement les mêmes règles à tout le monde (ce que les Anglophones appellent le « Level Playing Field »). Pourquoi faire une exception à Tremblant? Comment Ottawa se sortira de cette situation sans perdre la face? En cessant de facturer pour des services que nous payons déjà tous par nos impôts. Et en radiant la créance actuelle. Tout simplement.

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