« Le monde est à toi »
Par Frédérique David
Quand notre bébé atteint l’âge de la majorité, on a ce réflexe de regarder en arrière et de se repasser le film de ces 18 années.
Ça fout le vertige. Les vieux disent que plus on avance, plus le temps passe vite. Je les crois maintenant. Il y a pourtant eu des moments qu’on aurait voulu passer en accéléré. Le plus fou c’est de réaliser qu’on n’a jamais perdu l’équilibre parce qu’être parent, c’est le rôle le plus difficile, le plus ingrat, le plus périlleux qu’on ait à tenir, mais celui pour lequel ont fait preuve de patience, de bienveillance et de persévérance jusqu’au bout. C’est le rôle pour lequel on est le moins préparé. Celui qu’on improvise du mieux qu’on peut, sans mode d’emploi, sans filet de sécurité. Celui que l’on ajuste sans cesse face à cet être humain unique qui évolue sous nos yeux et qui exige de nous des prouesses d’adaptation. Celui qui nous fait grandir un peu chaque jour. Ce rôle le plus complexe et le plus beau à la fois, je l’ai tenu pour toi.
Un être unique et libre
C’est quand notre enfant quitte le nid familial qu’on réalise qu’on s’ennuie finalement de toutes ces tâches ingrates qui faisaient de nous une maman, même si on était parfois fatiguée à l’extrême, agacée, découragée, à bout de ressources et d’énergie. Même si on se sentait parfois vulnérable face à notre volonté de guider vers des valeurs plus humaines, plus vraies, plus grandes. C’est quand tu as franchi le seuil de la porte avec ton bel élan de jeunesse et ton désir de découvrir, d’explorer et d’aimer que j’ai réalisé à quel point tu ne m’appartiens pas. On utilise un déterminant possessif quand on parle de nos enfants, mais on ne possède pas cet être humain qui est lui, elle ou iel. On l’accompagne et le guide seulement dans ce monde en perpétuel changement. J’espère avoir été ce Sherpa qui te permettra d’atteindre des sommets. Avec toutes mes imperfections, j’ai tenté de te donner les outils pour surmonter les épreuves, pour combattre les injustices, pour t’affirmer, prendre part, prendre soin et mordre dans la vie. J’ai lâché ta main pour te laisser explorer seule, pleinement, librement. Le monde est à toi et je serai celle qui t’écoutera, t’aimera, t’accueillera toujours.
Vers une société égalitaire
Tu me dis souvent que tu aurais voulu vivre ton enfance dans les années 1980, parce qu’il n’y avait pas de cellulaire, pas d’Internet, pas toute cette pression qui vient avec les réseaux sociaux. Parce qu’il n’y avait que des relations physiques, humaines. Parce qu’on se regardait dans les yeux pour se parler. Parce qu’on n’avait aucune conscience de la grandeur du monde qui nous entourait, de l’épaisseur de la bêtise humaine, du péril en la demeure terrestre. Était-ce réellement mieux? Certes, le monde dans lequel tu as grandi impose une pression sur vos épaules si frêles. Mais vous êtes plus conscients, plus allumés, plus clairvoyants que nous l’étions au même âge. Plus souvent qu’autrement, tu as été celle qui m’a mise en garde contre la complaisance, l’arrogance ou la suffisance de ce monde. J’admire l’intelligence et la créativité avec lesquelles ta génération résiste et se rebelle pour parvenir à respirer une société égalitaire. « On parle de diversité, et de lutte antiraciste, antifasciste, vous avez le pouvoir de la mener, dans les couloirs de ton école, dans les salles de classe, sur les fils Instagram et à coup de stories sur Snapchat. C’est vous que les profs doivent écouter. C’est de vous que ce monde a tout à apprendre », écrit Martine Delvaux dans son magnifique essai « Le monde est à toi ».
Femme en 2023
Mettre au monde un enfant de sexe féminin vient avec son lot de responsabilités. Parce que tu es née fille, tu m’as fait grandir et évoluer avec des valeurs plus féministes. Je souhaitais être celle qui te guiderait vers cette émancipation nécessaire, cette égalité indispensable et ces nombreuses luttes qui restent à faire. J’avais « pour horizon un monde où le geste de prendre soin cessera d’être le lot du féminin pour incomber à tout le monde, sans discrimination », comme le dit si bien Martine Delvaux. Aujourd’hui, tu es cette femme sensible, déterminée, engagée et curieuse qui m’inspire tellement. Grandir à tes côtés est un privilège. Va dans ce monde qui est le tiens. Mes bras de maman resteront toujours ouverts pour accueillir ton corps élancé et t’aimer à l’infini, quoi qu’il arrive.
1 commentaire
Quel joli texte, vrai et fragile.
L’écriture, les mots sont justes.
Un réel plaisir pour une maman qui tente encore de donner son meilleur.
Merci