L’éléphant absurde dans la pièce

Par Rédaction

Par Philippe Leclerc

Un éléphant qui redessine nos écoles

L’expression « un éléphant dans la pièce » désigne un problème évident que tout le monde préfère ignorer. Mais ici, cet éléphant ne se contente pas de trôner au milieu des discussions : il redistribue les élèves de manière absurde. Le Centre de services scolaire des Laurentides (CSSL) envisage une réorganisation majeure des aires de desserte dans le secteur sud des Pays-d’en-Haut. Deux scénarios sont proposés, et les deux suscitent une incompréhension légitime.

D’un côté, 200 enfants de Sainte-Adèle – des écoles Saint-Joseph et de L’Expédition – seraient transférés à Saint-Sauveur, arrachés à leur milieu de vie. De l’autre, la nouvelle école de Saint-Sauveur accueillerait exclusivement les enfants de cette municipalité et, selon le scénario, avec des enfants de Piedmont (scénario 1) ou encore des autres municipalités (scénario 2). Pendant ce temps, dans l’un scénario ou l’autre, les pavillons Marie-Rose et La Vallée, également situés à Saint-Sauveur, seraient réservés aux élèves des municipalités voisines.

Et que dire des élèves de Saint-Anne-des-Lacs ? Dans les deux scénarios, ils ne sont même pas considérés pour la nouvelle école, malgré leur proximité.

Une école à Saint-Sauveur, mais sans les enfants de Saint-Sauveur

Aujourd’hui, l’école primaire de Saint-Sauveur – les pavillons Marie-Rose et La Vallée – accueille des élèves de cinq municipalités voisines : Wentworth-Nord, Saint-Adolphe-d’Howard, Morin-Heights, Piedmont et Saint-Anne-des-Lacs, en plus des enfants de Saint-Sauveur.

Avec les nouveaux scénarios, une absurdité se profile : les élèves de Saint-Sauveur auront l’exclusivité de la nouvelle école, mais quitteront complètement les pavillons actuels. Ces derniers deviendront des écoles pour les enfants des municipalités voisines, y compris les 200 élèves délocalisés de Sainte-Adèle. Une école primaire à Saint-Sauveur qui n’accueille plus les enfants de Saint-Sauveur. Une situation absurde, difficile à justifier.

Délocaliser au lieu d’agrandir

Le transfert des 200 élèves de Sainte-Adèle est une autre source de malaise. Pourquoi déplacer ces enfants au lieu de trouver des solutions locales ? Sainte-Adèle a pourtant des infrastructures scolaires solides, mais le CSSL semble préférer les déplacer plutôt que d’envisager d’autres options. D’une part, agrandir l’école Saint-Joseph, une solution évidente pour une école qui a déjà bénéficié d’un agrandissement en 2017. D’autre part, anticiper la reconstruction de l’école Chante-au-Vent, prévue pour rouvrir en 2028. C’est une occasion manquée d’intégrer ces élèves dans des locaux modernes sans les éloigner de leur milieu.

Ces solutions auraient permis de maintenir les élèves dans leur communauté tout en répondant aux enjeux de surpopulation.

Un système mal adapté à notre réalité

Le CSSL applique des règles d’attribution des places qui semblent adaptées aux milieux urbains, mais déconnectées de la réalité des Pays-d’en-Haut. À Montréal, les élèves fréquentent généralement une école de quartier. Ici, les aires de desserte couvrent de vastes distances.

Résultat : des enfants de Sainte-Adèle seront envoyés à Saint-Sauveur, alors que des élèves de Val-Morin, situés bien plus loin, resteront à l’école Saint-Joseph. Et les élèves de Saint-Anne-des-Lacs, pourtant proches de Saint-Sauveur, ne pourront pas fréquenter la nouvelle école. Une répartition qui manque de logique et d’équité.

Imaginons un instant une situation similaire à Montréal : accepterait-on qu’un enfant de Villeray soit obligé de fréquenter une école à Saint-Henri ? Certainement pas. Pourquoi les familles des Pays-d’en-Haut devraient-elles accepter ce qui serait inacceptable ailleurs ?

Un triple impact bien réel

Les décisions envisagées auront des répercussions profondes. Premièrement, une congestion routière importante. Ainsi, à Saint-Sauveur, la rue Principale devra absorber un surplus de bus scolaires et de voitures, même avec des ajustements d’horaires. Deuxièmement, une perte de cohésion communautaire, car les élèves déplacés perdront leur ancrage local, tandis que ceux de Saint-Sauveur perdront leur lien avec les pavillons actuels de leur municipalité. Troisièmement, on crée des injustices entre municipalités, alors que les familles, au lieu de se sentir solidaires, se retrouvent à défendre leur école au détriment des autres.

Une occasion manquée de bien faire

L’ouverture de la nouvelle école de Saint-Sauveur aurait pu être un moment de célébration. C’est la première école construite dans les Pays-d’en-Haut depuis 1972. Pourtant, cette opportunité est gâchée par des décisions qui fragmentent nos communautés et ignorent des solutions évidentes.

Pourquoi ne pas agrandir les infrastructures existantes ou réorganiser les aires de desserte pour respecter la proximité des élèves avec leur école ? Pourquoi ne pas appliquer une clause de droits acquis pour permettre aux élèves déjà inscrits de terminer leur parcours sans être déplacés ?

Refaisons nos devoirs

Le directeur général et le conseil d’administration du CSSL doivent revoir leurs scénarios. Ignorer les réalités locales pour satisfaire des critères administratifs de fonctionnaires à Québec n’est pas acceptable.

Il est encore temps de prendre une décision juste, qui respecte les enfants, les familles et les communautés. Une décision qui fait honneur à l’ajout d’une école sur notre territoire, sans en dévitaliser d’autres. Il ne s’agit pas seulement de règles bureaucratiques, mais de ce qui fait vivre nos petites municipalités et nos villages : la proximité, l’appartenance et la solidarité.

L’éléphant dans la pièce doit être confronté. Avant qu’il ne piétine davantage nos valeurs.

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