Les fruits du sacrifice

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Les archives du Nord

Dans cette chronique, j’explore l’histoire des Laurentides, telle que rapportée par les journaux de l’époque. Cette semaine, victoire en Europe, Lionel Bertrand et la fête des Mères, dans l’édition du 11 mai 1945 de L’Avenir du Nord.

L’été est enfin là. Les gens sortent de leur tanière pour profiter du soleil et des terras-ses. Et on sent qu’il y a un poids de moins sur leurs épaules. Le virus n’est peut-être pas encore vaincu, mais le coup de grâce approche.

Je suis donc allé chercher une autre victoire dans notre histoire, pour me rendre compte que nos efforts et nos sacrifices, aussi éprouvants fussent-ils, sont bien petits comparés à ceux à de nos prédécesseurs, il y a à peine 76 ans.

VICTOIRE!

Le 8 mai 1945, l’Allemagne nazie se rend inconditionnellement.

« Le monde a applaudi lundi la nouvelle que la guerre d’Europe avait pris fin. Tous les cœurs ont été unanimes à chanter la victoire. Les armées allemandes se sont rendues, sans conditions, et ainsi se termine la guerre la plus désastreuse que le monde ait connue et au cours de laquelle 40 millions de personnes ont perdu la vie », peut-on lire en première page du journal.

On estime aujourd’hui que la Seconde Guerre mondiale a fait entre 70 et 85 millions de morts, dont 50 à 55 millions étaient des civils. Cela en fait le conflit armé le plus meurtrier de l’Histoire de l’Humanité (…jusqu’à maintenant).

Mais alors que vous tenez votre copie de L’Avenir du Nord, ce 11 mai 1945, la guerre n’est pas encore terminée. Dans le théâtre du Pacifique, le Japon se bat toujours. Il ne se rendra qu’à la fin de l’été, le 15 août.

Au moins d’ici là, les appels militaires sont suspendus. « Tout homme qui a été appelé à se présenter après le 7 mai pour service militaire, verra ses frais de transport défrayés, sera renvoyé chez lui, et ne sera pas enrôlé. […] Le gouvernement actuel a résolu de laisser au volontariat uniquement l’effort à donner dans la guerre du Japon. » Mais le journal prévient qu’il y aura des élections fédérales, le 11 juin, et que si le gouvernement change, la décision pourrait changer aussi! Notez bien que L’Avenir est d’allégeance libérale, tout comme le gouvernement sortant de Mackenzie King. Autrement dit, votez du bon bord, sinon…

On promet aussi que les soldats canadiens qui reviendront du front « […] auront sûrement un meilleur sort que celui de leurs pères après la première grande guerre. » D’une guerre à l’autre, c’est déjà ça de pris.

Lionel Bertrand

Souvent les noms de nos rues, de nos parcs et de nos villes cachent des histoires insoupçonnées. Lorsque j’habitais à Boisbriand, notre appartement se situait sur le boulevard Lionel-Bertrand. Et bien honnêtement, je n’ai pas eu la curiosité de chercher qui se trouvait derrière ce nom. Mais lorsque j’ai lu Avis de M. Lionel Bertrand, au-dessus de l’article VICTOIRE!, là ma curiosité était piquée.

M. Bertrand a été rédacteur à L’Avenir du Nord de 1927 à 1936, avant de fonder l’hebdomadaire La Voix des Mille-Isles à Sainte-Thérèse, en 1937. Il se fait élire à la Chambre des communes comme député libéral de Terrebonne en 1940, succédant à Athanase David. Mais il démissionne en 1944, pour se présenter aux élections provinciales… qu’il perd.

Ainsi les militants libéraux le nomment candidat pour qu’il regagne son siège, aux élections fédérales du 11 juin. Lionel Bertrand, qui était absent de la convention, écrit alors dans le journal : « J’ai hésité plusieurs jours avant d’accepter. Mon état de santé laissait à désirer. Mon médecin avait quelques craintes. Les offres de services ont été si larges et si généreuses, de la part de tant de libéraux et de tant de conservateurs, que je n’ai pu me soustraire à ce nouveau devoir. »

Il sera réélu et restera député de Terrebonne jusqu’en 1957.

Célébrer les mères

À l’occasion de la fête des Mères, qui aura lieu le dimanche suivant, le journal publie beaucoup de textes pour les célébrer. Certains sont des poèmes en leur honneur, d’autres sont des essais sur le rôle de la mère, bonne chrétienne canadienne-française, et de son sacrifice.

Mon préféré est certainement Nos mères… du Père Ambroise, O.F.M. Cap. (c’est-à-dire membre de l’ordre des Frères mineurs capucins). Certains passages sont touchants et universels, mais d’autres trahissent leur époque.

« Pour elles, la famille nombreuse n’est pas une surcharge qu’il faut éviter à tout prix, fut-ce au prix de son âme et au mépris des lois de Dieu. Aussi, comme elles sont belles nos familles canadiennes, avec leurs 8, 10, 12 enfants, et parfois même, 18 et 20. […] Que peuvent fournir au Seigneur, des familles sans enfants, ou qui n’en ont volontairement qu’un ou deux? On peut être certain que ces mères égoïstes qui n’ont pas voulu « s’embarrasser », garderont pour elles l’enfant, ou les deux ou trois enfants, qu’elles auront choisis. Elles n’auront pas assez d’esprit de sacrifice pour leur permettre de répondre à l’appel d’En-Haut. »

Je souligne que le mot « sacrifice » est ici très littéral. Nous sommes en temps de guerre. Les jeunes hommes sont conscrits et envoyés au front. Plus loin, le Père Ambroise écrit : « Dans ces familles, la Patrie, également, trouve en grand nombre des bras pour porter les armes : les défenseurs dont elle a besoin au moment du danger : les bons petits soldats! Ici, encore, nos mères consentent au départ de leur « petit » soldat, pour les champs de bataille, malgré les douloureuses angoisses de leur cœur maternel, à la perspective des périls pour le corps et l’âme surtout, de leur grand garçon. Généreuses envers Dieu, elles le sont aussi envers la Patrie. Elles sont de vraies femmes fortes. »

Repères historiques

1919 : Après la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles est signé. Le général français Ferdinand Foch déclare alors : « Ce n’est pas une paix, c’est un armistice de vingt ans. »

1939 : Lorsque l’Allemagne nazie envahit la Pologne, la France et l’Empire britannique lui déclarent la guerre, entraînant le Canada dans le conflit.

1942 : Le Canada tient un référendum sur la conscription. Les provinces canadiennes sont pour, entre 70 % (Nouveau-Brunswick) et 84 % (Ontario), alors que les Québécois votent contre à 72 %.

1944 : Faute de volontaires, Mackenzie King doit finalement envoyer 12 908 soldats conscrits à l’étranger. 2 463 d’entre eux se rendront au front et 69 y seront tués avant que l’Allemagne ne capitule.

1948 : Le drapeau du Québec, le fleurdelisé, est hissé au-dessus de l’Hôtel du Parlement pour la première fois.

Pour lire ce journal, rendez-vous au numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2511128

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