Les poursuites-bâillon: David contre Goliath
Par andre-berard
La liberté d’expression et d’action est au coeur de la mission d’Accès, journal indépendant. Nous croyons qu’il n’est pas de démocratie véritable sans la liberté d’informer. Le blogueur d’Accès, André Bérard, explique les enjeux des SLAPP… dont nous-même sommes l’objet à l’occasion… Si l’avenir de l’information vous intéresse…
La semaine dernière, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) déposait un mémoire à la commission des institutions sur la réforme du code de procédure civile et les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique.
Les SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation), aussi appelés poursuites-bâillon, visent à faire taire des opposants en les écrasant sous des frais judiciaires démesurés en regard de leur moyen, et ce, en dépit du fait que dans bien des cas, la poursuite n’est pas fondée. Louis Roy, vice-président de la CSN, regrette toutefois que l’importante consultation sur les poursuites-bâillon soit amalgamée à celle portant sur la réforme de la procédure civile: «La question complexe des poursuites-bâillon justifiait à elle seule la tenue d’une commission parlementaire distincte.» Il observe également que notre système de justice repose trop sur la confrontation et pas suffisamment sur la recherche de solutions: «La confrontation favorise les mieux nantis, ceux qui ont les moyens d’utiliser les failles de notre Code de procédure civile pour déstabiliser leurs adversaires avec une panoplie de moyens procéduraux.»
L’exemple type d’un SLAPP est celui d’un promoteur qui poursuit pour atteinte à la réputation un groupe de citoyens ou d’écologistes qui s’oppose à l’un de ses projets. Bien qu’au départ, les poursuites-bâillon visaient plus particulièrement les groupes écologistes, le phénomène s’élargit aujourd’hui aux simples citoyens et même aux médias. Récemment, un avocat de la région a été victime d’un SLAPP organisé par une autre étude d’avocats. Le barreau du Québec, qui s’adressait également à la commission des institutions de l’Assemblée nationale, rejette catégoriquement, pour le moment, toute idée de modification à la loi pour augmenter la protection contre les SLAPP:«Le droit civil du Québec, à ce stade-ci, est suffisamment apte à répondre aux besoins, étant donné qu’il n’y a pas d’abus de cette procédure», affirme Me Michel Doyon, bâtonnier du Québec, cité dans un article de Malorie Beauchemin dans le cahier A de la Presse du 21 février 2008. Une affirmation contestée par plusieurs groupes favorables à l’adoption d’une loi anti-SLAPP. Dans le même article, le ministre de la Justice, Jacques Dupuis, estime quant à lui que le Barreau du Québec devrait fouiller davantage la question:«Nous estimons, et je pense que ça vaut pour tous les partis, qu’il est pertinent juridiquement et socialement de se pencher sur ces questions».
Une avenue proposée pour limiter le nombre de poursuites-bâillon est de modifier le Code de procédure civile afin de donner plus de pouvoir au juge pour qu’il soit en mesure de rejeter, dès leur entrée, les poursuites abusives et sans fondements, qui en ce moment profitent des failles de la Loi.
Dans un communiqué publié la semaine dernière, la CSN rappelle la définition des SLAPP qui figure dans le rapport d’un groupe d’experts chargés d’étudier la question: «Des poursuites judiciaires entreprises contre des organisations ou des individus engagés dans l’espace public dans le cadre de débats mettant en cause des enjeux collectifs et visant à limiter l’étendue de la liberté d’expression de ces organisations ou individus et à neutraliser leur action par le recours aux tribunaux pour les intimider, les appauvrir et les détourner de leur action».
Ce combat de David contre Goliath se termine la plupart du temps à l’avantage du géant. Le cas de la Ville de Rawdon — qui fera l’objet d’un article complet dans une prochaine édition — est éloquent. La municipalité, à force de procédures matraques est parvenu à fermer un forum où les Rawdonnois s’exprimaient sur les affaires municipales. La mairesse et le directeur général de la Ville, ciblé par des participants virulents, ont eu recours à l’artillerie lourde pour faire taire une poignée de citoyens dont les propos sont jugés offensants. Le cas de Rawdon inquiète, car des poursuites personnelles sont engagées contre six personnes, dont plusieurs sont des bénéficiaires de l’aide sociale ou des personnes qui souffrent de maladies chroniques. Le cas de Rawdon met en évidence le déséquilibre des forces dans les cas de SLAPP. Plus près de nous, la Ville de Sainte-Adèle avait à l’automne 2006 fait parvenir des mises en demeure à deux blogueurs adélois. Tentative qui n’a pas eu l’effet escompté et qui s’est retournée contre l’expéditeur. Les nouveaux médias qui s’intègrent dans le concept du Web participatif (blogues, forums, etc.) sont de puissants outils démocratiques qui menacent un certain establishment. L’effet des SLAPP devient pervers lorsque des municipalités financent des poursuites-bâillon à même les fonds publics. Les citoyens se retrouvent dans la singulière position où c’est eux qui paient les frais judiciaires engagés dans des procédures visant à les faire taire.
Un dossier à suivre
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